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savant explorateur ; en dépit des variétés de leur plumage et des discordances de leur ramage, ils se reconnaissaient entre eux pour les membres d’une même famille, la famille des Aves madagascarienses Grandidieri.

Sous les berceaux de vignes et les guirlandes empourprées de l’arbre de Bougainville, au pied des lilas de Perse, des grenadiers, des pêchers et des pommiers, à travers les rosiers, les géraniums et les héliotropes, Boutou poursuivait ses billes... Dans ce cadre un peu factice d’horticulture européenne, le petit sauvage conservait la grâce naturelle de ses mouvemens inappris, sans entraves, sans efforts... Qu’un cri soudain, un bruit du dehors, un brouhaha lointain vînt frapper son oreille, l’enfant, penché à terre, se relevait d’un bond, se redressait subitement, semblait humer l’air, prendre le vent. Comme les Malgaches errans qui s’orientent d’instinct dans les régions inexplorées et perçoivent le danger sous les espèces les moins saisissables, il embrassait d’un coup d’œil net et rapide tout le paysage environnant : au pied de la ville, la belle plaine de rizières qu’arrose l’Ikoupe... puis les libres espaces, les monticules déboisés, les vallonnemens verts de l’Emyrne... et là-bas, au sud, le massif étage qu’un air transparent rapproche, l’Ankaratra mystérieux, le refuge ancien, où suivant les croyances, les âmes des ancêtres émigrent et trouvent le repos...

Mon fils d’adoption avait-il quitté pour toujours ces rizières et cette brousse?... Déjà, il considérait comme siens mes parterres et mes pelouses... Mais, bien qu’il se fût promptement familiarisé sous mon toit, ma personne n’en restait pas moins pour lui l’objet d’un respect assidu, d’une vénération constante, d’une dévotion scrupuleuse... Ce fanatique poussait même l’intolérance jusqu’à assujettir tous ses compagnons de jeu aux obligations qui m’étaient dues.

— Voici Samson, l’esclave de la fiancée de Rakoute, il allait quitter la maison sans avoir dit bonjour au vazaha.

Rakoute change de fiancée tous les huit jours, et je n’éprouve aucun besoin de me faire présenter un nègre de plus.

Samson ahuri, le nez sous le lamba, se laisse traîner par la main et risque à chaque mouvement de rester accroché quelque part.

Boutou évolue adroitement au milieu des meubles, des bibelots et des livres... répare en passant le désordre causé par son ami... saisit délicatement une tasse qu’il aperçoit en détresse et la replace soigneusement sur la soucoupe correspondante...

Idée de hiérarchie, idée de symétrie... son avoir mental s’augmente de jour en jour.