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placer en dehors de l’univers, étudient les corps et les phénomènes… sans être obligés de les rapporter à l’ensemble de la nature. Mais le physiologiste, se trouvant au contraire placé en dehors de l’organisme animal dont il voit l’ensemble, doit tenir compte de l’harmonie de cet ensemble. De là il résulte que le physicien et le chimiste peuvent repousser toute idée de causes finales dans les faits qu’ils observent, tandis que le physiologiste est porté à admettre une finalité harmonique et préétablie dans le corps organisé. » Et ailleurs encore, dans le dernier de ses grands ouvrages : « Les agens physiques produisent des phénomènes qu’ils ne dirigent pas : la force vitale dirige des phénomènes qu’elle ne produit pas[1]. » C’est l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui le néo-vitalisme. Mais on ne saurait affirmer plus nettement qu’une finalité supérieure, — transcendante ou immanente, ce n’est pas aujourd’hui le point, — préside aux manifestations de la force vitale, comme à l’évolution de la matière organisée, comme à la transformation des espèces animales ; et les guide. Aucune variation n’a sa raison d’être ni dans l’exercice ou le défaut d’usage des parties, ni dans les exigences de l’adaptation au milieu, ni dans l’ensemble des causes encore mal connues que l’on enveloppe sous le nom de sélection naturelle, mais on ne la trouve que dans la tendance intérieure de l’être vers la réalisation d’un plan organique donné. La réalisation de ce « plan organique » est la cause finale de l’évolution.

Voit-on sortir la conséquence ? « On ne demande pas, a-t-on dit, si le chien, si le cheval, si le bœuf ont été créés pour l’homme, mais si l’organisation des animaux annonce une intention[2] ? » Nous pouvons répondre hardiment : il y a dans le germe une intention de se conformer au type de son espèce ; il y a dans l’apparition de la variété une intention de s’adapter à un plan ; et il y a dans la nature une intention d’acheminer tous les commencemens vers un terme préfix. Qu’est-ce à dire, sinon que, de même que la « théorie de la descendance » nous a tout à l’heure permis de donner au dogme du péché originel une signification physiologique, maintenant, sur les bases de la doctrine évolutive, c’est l’idée de la Providence que nous pouvons relever ! Je n’entends pas ici cette Providence particulière et chrétienne, qui se manifesterait de préférence dans « les cas fortuits », cette Providence personnelle, sans le consentement ou l’intervention de laquelle

  1. Claude Bernard, Introduction à la Médecine expérimentale, p. 162 ; — Ibid., p. 153, 154 ; — et Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux végétaux et aux animaux, t. I, p. 51.
  2. Joseph de Maistre, Examen de la philosophie de Bacon.