les témoignages, et si M. Spencer n’est peut-être qu’un « philosophe », je ne pense pas que l’on récuse l’autorité de M. Weismann ni celle du professeur Huxley. Ce sont bien là des « savans » ! Non seulement le progrès n’a rien de nécessaire et de continu, non seulement il ne va jamais sans quelque compensation, mais encore il n’est souvent que « retour en arrière. » Je me rappelle un mot de Mme de Staël : « Cette Révolution, — écrivait-elle, il y a bientôt cent ans, vers 1798, — peut à la longue éclairer une plus grande masse d’hommes, mais pendant plusieurs années la vulgarité du langage, des manières et des opinions doit faire rétrograder, à beaucoup d’égards, le goût et la raison. » Dira-t-on qu’elle ne parlait que de « littérature » ou de « philosophie » ? Mais depuis elle, et à mesure que l’événement s’éclairait à la lumière de ses conséquences, ai-je besoin de rappeler le langage de M. Émile Montégut[1], celui de Taine, ou celui de M. Paul Bourget ? « Nous devrions… défaire l’œuvre meurtrière de la Révolution française. C’est le conseil qui, pour l’observateur impartial, se dégage de toutes les remarques faites sur les États-Unis… C’est pour avoir violemment coupé toute attache historique entre notre passé et notre présent que notre Révolution a si profondément tari les sources de la vitalité française. » Ainsi conclut l’auteur d’Outre-Mer. Et, à la vérité, comme je l’ai fait autrefois contre Taine lui-même[2], je défendrais volontiers contre M. Bourget la Révolution et son œuvre. Mais, que tant d’observateurs, « partis de doctrines si différentes et avec des méthodes plus différentes encore, » aient agité la question, c’est une preuve au moins qu’elle existe et qu’il y a lieu de nous la poser. Reculions-nous donc peut-être quand nous nous flattions d’avancer ? En croyant faire ce que nous voulions, tendions-nous peut-être où nous ne voulions pas ? Le passé que nous abolissions valait-il mieux que le présent, et surtout que l’avenir dont nous nous croyons menacés ? C’est ce que les analogies de la doctrine évolutive nous permettaient tout à l’heure, et c’est maintenant ce qu’elles nous obligent de nous demander. Puisqu’un « progrès graduel vers la perfection est très loin de faire nécessairement partie de la doctrine darwinienne » et qu’on la déclare même « parfaitement compatible avec un recul graduel »[3], la théorie du progrès, qui n’avait pas de base dans l’histoire, n’en a pas davantage dans l’histoire naturelle. Elle est en l’air, pour ainsi parler ; et de l’imprudente confiance que nos
Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/159
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.