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toutes nos « virtualités », si nous ne manquions pas d’ailleurs à quelque devoir plus élevé, nous trahirions à tout le moins les intérêts de l’espèce entière ? Nous travaillerions à la dégrader, en la rengageant dans l’imperfection de son propre passé. Nous reculerions au lieu d’avancer ; et, tout ce que nous acquérons de pouvoir nouveau sur la nature n’étant pas contrepesé par un pouvoir équivalent sur nous-mêmes, nous nous renfoncerions insensiblement dans une animalité plus hideuse que l’ancienne, puisque des instincts également brutaux y seraient servis désormais par des moyens plus puissans.

Sur la même base de la « descendance, » — qui n’a sans doute rien de mystique, — il semble encore que l’on puisse asseoir le vrai fondement de l’éducation. « Laissez faire et laissez passer ! » je ne sais trop quelle est aujourd’hui la valeur de cette maxime en économie politique, et je crains au surplus qu’en l’attaquant on ne l’interprète généralement mal ! (Elle est du temps et relative au temps où la grande affaire des économistes était de combattre une législation restrictive du commerce des grains.) Mais le problème essentiel de l’éducation n’est justement que de déterminer avec assez d’exactitude ce que l’on ne peut humainement « ni laisser faire ni laisser passer ». Et qu’est ce qu’on ne peut ni « laisser passer, ni laisser faire ? » Si vous y regardez d’assez près, c’est encore, c’est toujours tout ce qui tendrait, en encourageant la prédominance des mobiles animaux sur les motifs sociaux, à nous rapprocher de notre première condition[1]. L’éducation a pour objet de nous aider à prendre en nous le dessus de l’instinct, et à réaliser ainsi la définition de notre propre espèce. Avant d’être hommes, et pour le devenir, l’éducation s’efforce à nous débarrasser du vice ou de la souillure de notre plus lointaine origine. Mais si nous commençons à l’entendre aujourd’hui plus clairement, et surtout d’une manière plus consciente que jamais, n’est-il pas vrai que le mérite ou l’honneur en revient pour une large part à la « théorie de la descendance ? »

Et la même théorie peut encore servir à nous faire mieux comprendre la grandeur et la beauté, je dirais presque la « sainteté » de l’institution sociale. Car, d’un côté, pour nous soustraire à la tyrannie de nos impulsions animales, ce n’est pas trop, c’est à peine s’il suffit de toutes les forces de la société conjurées ensemble, et avec nous, contre la nature. Mais, d’un autre côté, si l’on admet que nous descendions effectivement de l’animal, alors ni les vrais intérêts de l’individu ne sauraient différer en principe

  1. Voyez dans la Revue du 15 février 1895 : Éducation et Instruction.