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comme sur son indestructible fondement, n’ont aucune raison de repousser la « théorie de la descendance » ; et, au contraire, ils en ont dix, ils en ont vingt de s’en autoriser. « Les différences de structure entre l’homme et les primates qui s’en rapprochent le plus, — écrivait récemment, dans la dernière édition française de son livre sur la Place de l’homme dans la nature, le professeur Huxley, — ces différences ne sont pas plus grandes que celles qui existent entre ces derniers et les autres membres de l’ordre des primates, de telle sorte que, si l’on a des raisons de croire que tous les primates, l’homme excepté, proviennent d’une seule et même souche primitive, il n’y a rien dans la structure de l’homme qui nous autorise à lui assigner une origine différente[1]. » C’est ce que nous admettons volontiers, sans hésitation ni réserve. Loin de nous les répugnances d’une ridicule vanité ! Oui, nous avons en nous, dans notre sang, et pour ainsi parler, comme au plus profond de nos veines, quelque chose de la brutalité, de la lubricité, de la férocité du gorille ou de l’orang-outang ! Apportons-nous d’ailleurs en naissant les semences de quelques vertus ? C’est une question ! et pour ma part, je serais plutôt tenté de le nier : nos « qualités » nous sont naturelles, santé, beauté, vigueur, adresse ; toutes nos « vertus » me paraissent acquises. Mais ce que nous trouvons très certainement en nous, ce sont les germes de tous les vices, — à commencer par ceux que l’on impute à l’iniquité de l’institution sociale ; — et qu’y a-t-il de plus naturel, je veux dire de plus explicable, si nous ne sommes que le terme actuel d’une suite infinie d’ancêtres animaux ?

C’est ce qu’exprime admirablement le dogme, — ou le mythe, comme on le voudra, si universel et si profond, — du Péché originel. On ne s’attend pas que j’entre ici dans l’examen des controverses qu’il a soulevées, et qui ne sont pas plus de ma compétence que de mon sujet. Mais si nous le dépouillons de son enveloppe théologique, et que nous l’inclinions seulement un peu dans le sens protestant, lequel est aussi le sens janséniste, à quoi le dogme se réduit-il ? Pour n’y rien mêler de nous-même, c’est Calvin qui va nous le dire. « Le péché originel est une corruption et perversité héréditaire de notre nature, laquelle étant épandue sur toutes les parties de l’âme, nous fait coupables premièrement de l’ire de Dieu, puis après produit en nous les œuvres que l’Écriture appelle œuvres de la chair… Par quoi, ceux qui ont défini le péché originel être un défaut de justice originelle… combien qu’en ces paroles ils aient compris toute la substance, toutefois ils n’ont suffisamment

  1. Th.-H. Huxley, la Place de l’homme dans la nature, nouvelle édition ; Paris, 1891, J.-B. Baillière, p. 1.