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si heureux et si fier, et celui des sans-culottes, rangés dans l’autre salle, auxquels il allait comme offrir des regrets de n’être point avec eux, et faire les coquetteries italiennes dont on peut entrevoir ici le prélude, et dont la suite fera probablement connaître bien d’autres détails.



Le rôle de Bonaparte à Toulon se résume donc, selon Barras, en trois fautes militaires commises. Étranger à la conception du plan, dont tout l’honneur est attribué au général en chef, Bonaparte est resté étranger même à l’exécution de ce plan, ou n’y a participé que pour compromettre maladroitement une combinaison dont la réussite, assurée sans cette « bêtise[1] », eût rendu plus décisif le triomphe de l’armée conventionnelle. Tout ce qu’accorde Barras à Bonaparte, c’est d’avoir donné « quelques preuves de son talent militaire qui commençait à se développer, » d’avoir montré des « dispositions précoces dans l’art de la guerre. » Un officier assez bien doué, en somme, actif et de quelque intelligence, mais qui n’a agi que « secondairement > » dans cette circonstance. Le véritable « preneur » de Toulon, c’est Dugommier.

Il ne peut être question d’aborder ici avec les développemens qu’elle comporte la discussion de cette thèse[2]. Je me contenterai donc de rappeler que l’héroïque et loyal soldat à qui Barras attribue la prise de Toulon, Dugommier lui-même, a rendu à Bonaparte ce qui lui appartient. Lors du conseil de guerre qui fut tenu le 25 novembre, neuf jours après son arrivée à l’armée, le nouveau général en chef déclara « qu’il ne croyait pas pouvoir offrir de plan d’attaque plus lumineux, plus exécutable, que celui qui lui avait été présenté par le chef de bataillon commandant l’artillerie ; qu’ayant suivi les idées de ce plan, il venait, de son côté, d’en rédiger un lui-même à la hâte ; et ce plan, dont il se plaisait à rendre tout l’honneur à son premier auteur, Dugommier le soumit au conseil[3]. »

Arrivé pour ainsi dire de la veille à l’armée de Toulon, comment Dugommier aurait-il eu le temps de mûrir, de dresser un plan ? L’honneur est assez grand pour lui d’avoir compris du premier coup le mérite de l’idée d’un autre et, après l’avoir adoptée sans hésitation, de l’avoir en outre exécutée avec une indomptable vigueur. Jetez les yeux sur ce plan de Dugommier[4] :

  1. Note autographe de Barras : « Aucun vaisseau de guerre anglais ne fut coulé à Toulon, par la bêtise de Bonaparte. » (Papiers de M. de Saint-Albin.)
  2. On trouvera cette discussion dans une étude consacrée au Rôle de Bonaparte au siège de Toulon. Voir la préface du tome Ier des Mémoires de Barras, p. LII à LXXIX.
  3. Vie de Dugommier, composée en 1799 par A. Rousselin de Saint-Albin, encore inédite, sauf un fragment — précisément relatif au siège de Toulon — publié par le fils de l’auteur parmi les Documens relatifs à la Révolution française, extraits des œuvres inédites de A. Rousselin de Saint- Albin, Paris, Dentu, 1873, 1 vol. in-8o. Le passage que je cite est extrait du manuscrit même de M. de Saint-Albin, dont le texte n’a pas toujours été scrupuleusement reproduit dans la publication ci-dessus mentionnée. Composée sur de nombreux documens authentiques rassemblés à cet effet par M. de Saint-Albin lorsqu’il remplissait, en 1798, au ministère de la Guerre, les fonctions de secrétaire général de Bernadotte, cette Vie de Dugommier présente un véritable intérêt historique.
  4. Observations sur le siège de Toulon, manuscrit de huit pages, signé Dugommier et suivi d’un plan d’attaque. (Archives de la Guerre, correspondance militaire, armée de Toulon, décembre 1793.)