Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obtenus par les armées républicaines : elles commençaient à prouver que rien ne serait impossible à la valeur française. La route de l’audace fut alors frayée. Je craindrais de paraître abonder dans une cause personnelle si j’exprimais l’enthousiasme que réveille encore en moi ce souvenir de mes premières années. Sans doute je ne vois pas pourquoi je me séparerais de l’honneur qui peut m’en revenir pour ma part ; j’y ai coopéré de tous mes efforts, de très bon cœur et non sans quelque succès ; mais le vainqueur des coalisés de Toulon, le véritable « preneur » de la ville, si l’on peut ainsi dire, ce n’est pas un autre que le général Dugommier, c’est à Dugommier qu’en appartient l’immortel trophée !

La prise du général O’Hara, attribuée à Bonaparte, le vaisseau anglais qu’il aurait coulé bas, le plan de campagne auquel il aurait participé, sont autant d’assertions fausses, imaginées par celui qui en a imaginé bien d’autres, répétées par ses flatteurs le jour où il a eu de l’argent pour les payer. Bonaparte donna quelques preuves de son talent militaire qui commençait à se développer, mais il n’agit que secondairement dans cette circonstance. Je le répète, le véritable « preneur » de Toulon, c’est Dugommier.

Les troupes de l’armée sous Toulon furent de suite distribuées aux armées d’Italie et des Pyrénées. Dumerbion prit le commandement de la première, Dugommier fut envoyé à la tête de celle des Pyrénées, où il devait être tué après plusieurs combats glorieux qui décidèrent la paix avec l’Espagne. Quant à Bonaparte, après le siège de Toulon, il fut nommé général de brigade, avec ordre de se rendre à l’armée d’Italie, sous les ordres du général Dumerbion : ce fut là qu’il se lia, par la protection d’Arena, avec Robespierre jeune, Ricord et sa femme, devenus depuis ses protecteurs. Dès la première armée d’Italie, où n’étant encore qu’officier très subalterne il avait déjà le désir et le système d’arriver par tous les moyens, Bonaparte, croyant que celui des femmes était puissant, faisait assidûment la cour à la femme de Ricord, qu’il savait avoir beaucoup d’empire sur Robespierre jeune, collègue de ce député. Il poursuivait M mc Ricord de tous les égards, lui remassant ses gants, son éventail, lui tenant, quand elle montait à cheval, la bride et l’étrier avec un profond respect, l’accompagnant dans ses promenades à pied, le chapeau à la main, paraissant trembler sans cesse qu’il ne lui arrivât quelque accident.

Avant le départ des généraux et des représentans du peuple qui avaient reconquis Toulon, lorsque les exécutions militaires auxquelles il avait été impossible de se soustraire n’étaient pas encore terminées, d’après le vœu des Toulonnais républicains.