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mon arrivée. « Tout va mal, me dit-il. Je dois, citoyen représentant, vous rendre compte de l’état des choses ; votre loyauté et votre rang militaire m’assurent que vous accueillerez mes observations. Je suis, continua-t-il, en butte à la faction corse, à l’arrogance de Carteaux et de sa femme ; je crois n’être pas sans quelques connaissances dans l’arme de l’artillerie. J’invoque vos lumières : tout ce que je propose d’utile est écarté. J’ai reçu l’ordre de suspendre la construction d’une batterie que je commençais à former sur un mamelon que l’ennemi a négligé d’occuper et qui nous mettrait à même de fermer ce passage et de garantir d’une surprise le bataillon commandé par Victor. Ajoutez à cela que le mamelon est situé de manière que le feu de la batterie plongerait sur les retranchemens de l’ennemi ; je sollicite votre appui : mon zèle vous répondra de la protection que vous m’accorderez lorsque vous aurez tout examiné. »

En me parlant ainsi, Bonaparte m’offrit quelques exemplaires d’une brochure qu’il venait de composer et d’imprimer à Avignon ; et il me priait de permettre qu’il en donnât aux officiers et même aux soldats de l’armée républicaine. Chargé d’un énorme ballot, il disait, en faisant sa distribution à chacun : « On peut voir si je suis patriote ! Peut-on être assez fort en révolution ? Marat et Robespierre, voilâmes saints ! ». Il ne se surfaisait point en annonçant cette profession de foi ; il est réellement impossible de rien imaginer de plus ultramontagnard que les principes de cet écrit infernal : il est au surplus aujourd’hui pièce au procès de l’histoire.

La brochure que Bonaparte répandait ainsi à profusion et dont il sollicita bientôt les représentans du peuple de lui rembourser les frais, ce qu’ils firent, en y ajoutant une gratification pour l’auteur, c’était son fameux Souper de Beaucaire. On voit, dans des ouvrages postérieurs à la circonstance que je rappelle ici, que lors de l’avènement de Bonaparte au consulat, la veuve du libraire d’Avignon qui avait imprimé son Souper de Beaucaire, s’étant présentée à Paris au consul pour lui demander le payement des frais d’impression, qui n’avaient point été acquittés, il prit le parti, non sans humiliation, de solder aussitôt cette dette plus que criarde, et qu’aurait pu rembourser au moins le général de l’armée d’Italie, à qui ses économies en donnaient bien les moyens. Il résulte évidemment de cette circonstance, si elle est constante, qu’après avoir été payé par nous, il avait gardé l’argent destiné à la libraire. Cette réclamation réveilla dans son esprit le souvenir d’une production qu’il croyait effacée de la mémoire des acteurs du temps, et dérobée à la connaissance des contemporains.