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MEMOIRES DE BARRAS
BONAPARTE A TOULON

Le fragment qu’on va lire, encadré dans une introduction et une conclusion empruntées à la préface de M. George Duruy, est extrait du tome Ier des Mémoires inédits de Barras, dont les deux premiers volumes (I : Ancien Régime et Révolution ; II : Directoire jusqu’au 18 fructidor) doivent paraître prochainement à la librairie Hachette.


Barras a pris part, une part très honorable même, au siège de Toulon en 1793. Il est juste de rendre hommage à l’énergie des mesures ordonnées par lui au début de la rébellion, à son activité, à la vaillance dont il fit preuve en payant de sa personne comme un simple soldat, le sabre de représentant au poing, lors de la grande attaque du 17 décembre contre les positions du Faron. Dugommier, qui n’aimait guère pourtant les représentans[1], signale dans le rapport sur la prise de Toulon sa belle conduite : « Que le peuple voie donc ses représentans donnant au milieu de la nuit la plus dure l’exemple de la constance, au milieu du combat l’exemple du dévouement. Saliceti, Robespierre jeune, Ricord et Fréron étaient sur le promontoire de l’Éguillette, et Barras sur la montagne du Faron ; nous étions tous alors volontaires. Cet ensemble fraternel et héroïque était bien fait pour mériter la victoire[2]. » Barras put être fier d’avoir obtenu un tel témoignage — et d’un tel homme.

Dans les effroyables représailles que les républicains exercèrent contre la cité traîtresse, après l’avoir reprise par un miracle d’héroïsme, Paul Barras, à la vérité, ne fut nullement le vainqueur modéré, clément, sensible même, qu’il prétend dans ses Mémoires avoir été. Il se montra, comme ses collègues, impitoyable. Un témoin oculaire des massacres qui, à Toulon plus cruellement encore qu’à Lyon, souillèrent la belle victoire des armées conventionnelles, déclare que Barras présida de sa personne à l’une de ces

  1. Il se plaint avec une certaine amertume de leur ingérence incessante dans la direction des opérations : « Ce n’est plus une tête qui commande ; toutes celles qui ont quelque autorité sont de la partie, et cependant, quand elle est perdue, la tête seule du pauvre général en répond… » Archives de la Guerre, lettre de Dugommier au ministre Bouchotte, du 10 décembre 1793.
  2. Rapport de Dugommier, du quartier général de Toulon, le 6 nivôse an II (26 décembre 1793). Archives de la Guerre.