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de Ronda. Au bout du sentier, une porte à jour, composée de poutres goudronnées. Le sergent donne un tour de clef, et nous suivons la galerie creusée dans le roc, large, haute et suintante.

La visite est assez monotone. La (galerie monte en pente douce. Tous les trente pas environ, une chambre a été percée dans la paroi, à gauche, et une pièce de canon, d’un modèle daté de 1890, s’allonge jusqu’au bord du trou béant, irrégulier, taillé grossièrement. Près de chaque pièce, une provision d’obus et de boîtes à mitraille. Au plafond, des plaques de tôle, retenues par des crampons, recueillent les infiltrations de pluie, et des tuyaux, qui les réunissent les unes aux autres, conduisent l’eau dans des réservoirs de métal. L’unique intérêt, pour moi du moins, consiste dans les paysages lointains, et si variés, qui s’encadrent dans les ouvertures de la falaise. Il y a des coins de mer luisante, du côté de l’Orient, dont la beauté gagne encore à être vue ainsi, de ce recul d’ombre. Quand on s’approche du bord, on découvre la pente formidable de la roche, sans un buisson, et la vague en bas, bleu profond, sur laquelle glisse une yole montée par six jeunes Anglais, vétérans d’Oxford ou de Cambridge, qui font le tour de l’île.

Toute cette partie des fortifications de Gibraltar ne semble plus appropriée aux conditions de la guerre moderne. L’ébranlement que produirait la décharge des canons nouveaux, la fumée dont ils rempliraient vite les tunnels, rendraient assez périlleuse, je crois, la situation des artilleurs. Les vraies défenses de Gibraltar sont ailleurs, et je ne les ai pas vues.

Mais j’ai vu les casernes des soldats mariés. Au moment où je rentrais dans la cour de Moorish Castle, un officier en costume de chasse, le fouet à la main, s’avança vers moi. Il avait une physionomie d’une rare distinction. C’était le major Walter Blunt Fletcher, brigadier major d’artillerie.

— J’arrive en hâte, nous dit-il; mon ordonnance ne m’a remis que tout à l’heure la lettre de Son Excellence le gouverneur, à mon retour de la chasse au renard. Nous étions là-bas, vous voyez, dans la plaine espagnole.

Il montrait, du bout de son fouet, la plaine aux palmiers nains, où s’engage le chemin de fer au sortir des montagnes. Grâce à cet aimable guide, nous avons visité d’abord une caserne, puis, hors de l’enceinte de Moorish Castle, dans la rue, un joli cottage servant d’habitation à quatre familles de sous-officiers.

Les soldats mariés logent dans un bâtiment qui forme un angle droit avec la caserne des soldats célibataires. Tous les appartemens ouvrent sur une véranda. Ils se composent de deux ou trois chambres, selon le nombre des enfans. Comme nous