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hommes les ont faits. Ces ouvertures inégales sont des embrasures de canons, les jours par où respire et voit cette montagne entièrement minée, pleine de galeries, d’arsenaux et de casernes.

L’épithète d’imprenable est bien celle qui lui convient. Les Anglais entretiennent à Gibraltar un corps de 6 000 hommes, — plusieurs personnes m’ont dit davantage. Cependant, ni la puissance des maîtres actuels, ni leur longue possession n’ont affaibli chez les Espagnols la volonté de reconquérir un jour cette parcelle du sol national. « Il faut user de tous les moyens, écrit le général D. José López Dominguez, dans la préface d’un ouvrage que j’ai déjà cité; il n’y en a qu’un auquel on ne doit jamais penser : celui d’échanger un autre morceau de l’Espagne contre celui qui doit redevenir nôtre, comme l’exigent l’honneur et l’intégrité de l’Espagne[1]. » Et, parmi les observations que présente l’auteur du travail, M. José Navarete, il en est une, entre autres, assez judicieuse. Algésiras, dit-il, est seulement à 9 000 mètres de la place ; il y a même, derrière Gibraltar, une montagne élevée, la Sierra Carbonera, qui n’est qu’à 6 000 mètres. De telles distances, autrefois, rendaient toute action impossible: en est-il de même aujourd’hui? et ne peut-on pas dire qu’avec des batteries de marine établies sur ces deux points, on rendrait intenable la position d’une flotte réfugiée dans la baie d’Algésiras, et qu’on tiendrait en échec une partie des ouvrages anglais ?

Je rapporte cette idée pour montrer combien vif est le patriotisme espagnol, et combien persistant le souvenir des blessures faites à l’honneur national.


23 octobre.

A huit heures, nous nous présentons, mon ami et moi, au palais du gouverneur. Je n’y rencontre pas l’officier qui devait nous conduire, je me fais accompagner par un soldat, et, en dix minutes de montée raide, nous sommes devant une cour de caserne, dominant Gibraltar, Moorish Castle, qu’il faut traverser pour pénétrer dans les galeries. Nous parlementons un moment, et nous sommes confiés à un grand sergent d’artillerie, qui nous emmène au fond de la cour, s’engage dans un petit chemin découvert, et soudain, à un détour, nous nous trouvons sur le flanc du rocher regardant l’Espagne, à 600 pieds au-dessus de la presqu’île. Des buissons verts bordent le sentier. La vue est merveilleuse sur les terres basses, resserrées entre deux baies, et qui s’ouvrent, et qui montent ensuite tumultueusement vers le massif

  1. Las Llaves del estrecho, préface, p. XXIV.