Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/945

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu à peu s’impose à nous, s’empare de notre attention, et, sans plus nous laisser le temps de réfléchir ni le moyen de nous ressaisir, nous tient jusqu’au bout haletans et frémissans, mais domptés. Comment expliquer cette puissance extraordinaire ? Faut-il invoquer l’entente des moyens de la scène, la science de l’effet, la connaissance du goût du public ? faut-il reprendre une fois de plus l’oiseuse et subtile distinction entre ce qui est « du théâtre » et ce qui n’en est pas ? L’explication est beaucoup plus profonde et en même temps plus simple. C’est de volonté que vit le théâtre plus encore que d’observation et de réflexion. Précisément le théâtre de M. Dumas déborde de volonté. C’est d’abord l’auteur qui, ayant pleinement foi dans ses idées, est bien résolu à faire passer en nous la conviction qui est la sienne. Or fon sait quel est sur les hommes assemblés l’empire d’une conviction forte. Ce sont ensuite dans chaque comédie les personnages chargés de mener l’action, qui nous présentent le même phénomène d’une volonté allant droit à ses fins. Suzanne d’Ange veut se faire accepter de cette société qui la repousse ; Jacques Vignot veut réparer à force de mérite personnel la faute dont la destinée est coupable envers lui ; Mme Aubray veut substituer au pharisaïsme de la morale courante le principe bienfaisant de la morale chrétienne ; la princesse George veut reprendre son mari ; Francillon veut garder le sien… Une volonté qui sait vers quoi elle tend, qui y tend avec énergie, c’est ce que M. Dumas a mis partout dans ses pièces, c’est ce qu’oublient d’y mettre les plus distingués entre les dramatistes d’aujourd’hui. Là, et non pas ailleurs, est le secret de la force du premier et de l’insuccès des autres.


RENE DOUMIC.