programme de découvrir le réalisme, de l’installer au théâtre, de rompre avec toutes les conventions, de supprimer tous les artifices et généralement d’enfoncer beaucoup de portes ouvertes. Les écrivains du Théâtre libre, dans leur zèle pour la vérité, se sont tout de suite jetés dans la brutalité : ils ont appelé la physiologie à la rescousse de la psychologie ; ils ont montré à nu l’animal humain, avec la grossièreté de sa nature, la méchanceté de son égoïsme, la férocité de ses instincts. Ils n’ont pas à se plaindre de nous, car nous les avons fidèlement accompagnés dans leurs tentatives et suivis consciencieusement dans leur entreprise. Pourquoi faut-il que ces hardiesses autour desquelles ils ont mené un si beau tapage, nous les retrouvions une à une dans des pièces qui datent de plus de trente années ? Elles y étaient ; seulement à force d’art on parvenait à les faire passer. Pour ne citer que l’exemple de l’Ami des Femmes, le trio du ménage Leverdet éveillant dans nos esprits le souvenir de tant de tableaux pareils sur lesquels les écrivains du Théâtre libre ont insisté avec une lourdeur incomparable, nous nous sommes dit : « Tiens ! c’est du Dumas ! » — Une des découvertes dont s’enorgueillit à plus juste titre la littérature d’aujourd’hui, c’est celle de la charité chrétienne. On s’est avisé qu’il y a un petit livre, apporté aux hommes voilà dix-neuf siècles, dont le principe n’est pas encore épuisé, et qui n’a été remplacé par aucun autre : c’est l’Évangile. Il est vrai que, pour que nous reprenions goût aux leçons de l’Évangile il a fallu qu’on nous les traduisît du russe. Mais quel est donc ce personnage de théâtre qui en plein triomphe du positivisme prêchait le retour à la morale de l’Évangile ? N’est-ce pas Mme Aubray qui disait : « Vous ne voyez donc pas qu’elle ne suffit plus, cette morale courante de la société, et qu’il va falloir en venir ouvertement et franchement à celle de la miséricorde et de la réconciliation ?… La colère, la vengeance, ont fait leur temps. Le pardon et la pitié doivent se mettre à l’œuvre… Non, ces voix intérieures que j’entends depuis mon enfance, ces principes évangéliques qui ont fait la base, la dignité, la consolation et le but de ma vie, ne sont pas des hallucinations de mon esprit ; non, ce n’est pas une duperie que le pardon, ce n’est pas une folie que la charité ! » Charité, pitié, principes évangéliques, qui eût cru que tout cela fût déjà dans le théâtre de M. Dumas, qui pourtant a une réputation bien établie d’auteur immoral ? — La bonté est aujourd’hui redevenue à la mode. Nous sommes pleins d’indulgence pour le pécheur. Romanciers et dramatistes, d’un commun effort, nous vantent les mérites du pardon. C’est encore Mme Aubray qui donnait à un mari trompé le conseil de pardonner à sa femme : « Je sais qu’elle souffre, qu’elle se repent, que vous êtes un homme, que vous avez pour vous le droit, la justice et la force, que vous valez mieux qu’elle et que votre devoir est de pardonner. » La princesse George pardonne au
Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/943
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.