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II

L’intervention du prince héritier dans les événemens du 8-20 janvier était le désaveu de M. Tricoupi. Tout le monde le sentait. M. Tricoupi ne pouvait avoir d’illusions à cet égard. Aussi, le surlendemain, après avoir réuni le conseil des ministres, il présenta au roi des observations à ce sujet. Il ne dut pas être étonné de la réponse qui lui fut faite. Le roi Georges avait une excellente raison à donner pour justifier la présence de l’héritier du trône au Champ-de-Mars. Le prince était investi du commandement de la première circonscription militaire. Les troupes, éventuellement appelées à réprimer les désordres qui auraient pu se produire, étaient régulièrement placées sous son autorité. En leur donnant des ordres par-dessus la tête du prince et sans se concerter avec lui, le ministère n’avait pas agi très correctement. Ce n’était là, au surplus, que l’un des incidens de la situation. Une question dominait toutes les autres. M. Tricoupi, bien que disposant encore dans la Chambre d’une majorité chaque jour plus faible, n’avait évidemment plus la confiance du pays. Sa retraite devenait une nécessité. En l’ajournant, on n’eût fait qu’amener de nouvelles complications, peut-être même des malheurs irréparables, et il aurait toujours fallu arriver au même dénouement. M. Tricoupi se savait perdu ; il avait une occasion honorable de se retirer en se donnant l’apparence de défendre le principe de la responsabilité ministérielle. Il saisit le prétexte avec empressement et donna sa démission.

Dans des circonstances ordinaires, on aurait pu choisir pour premier ministre un autre chef de parti, M. Théodore Delyanni, par exemple, le vieil adversaire de M. Tricoupi, et le charger de présider à de nouvelles élections. Mais que d’inconvéniens à cette manière de procéder ! D’abord c’était devancer le jugement du pays, appeler M. Théodore Delyanni aux affaires avant que la majorité se fût prononcée pour lui, mettre immédiatement entre ses mains les nombreux moyens d’influence électorale dont dispose un parti au pouvoir. Là n’était pas encore le vice le plus grave de cette façon de procéder. La situation était exceptionnelle. Les chefs de partis, M. Théodore Delyanni, tout aussi bien que M. Tricoupi, avaient perdu la plus grande part de leur crédit sur le pays. Le régime parlementaire lui-même, du fait de leurs erreurs et de leurs insuccès, était discrédité. Le roi seul avait grandi on influence, en considération, en autorité, pendant que tout déclinait autour de lui. On était dans un de ces cas où le pouvoir royal est obligé d’agir en quelque sorte seul, non pas, sans doute,