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après ce vote, ne se sépara pas. Elle se porta en masse vers la Chambre des députés en poussant contre M. Tricoupi le cri de : « Anathème ! anathème ! Malédiction ! malédiction ! »

M. Tricoupi avait encore la majorité à la Chambre, puisque ses partisans étaient au nombre de 107 dans une assemblée qui compte 207 membres. Mais cette majorité, découragée, ne le suivait plus que par point d’honneur. Il avait toutes les peines du monde à réunir le quorum. Une opposition ardente, surexcitée par les agitations du dehors, retardait, par des procédés d’obstruction, le vote des mesures proposées par le premier ministre. L’année 1895 s’était ouverte sans que le budget fût voté. Le ministre poursuivait l’adoption de son projet pour la suppression des octrois. Il avait obtenu le vote de ce projet en deuxième lecture, et comme il n’y a qu’une Chambre en Grèce, il suffisait d’un troisième vote favorable pour que le projet devînt loi de l’Etat. La Chambre irait-elle jusqu’au bout ? Personne ne le croyait, en présence de l’hostilité qui se manifestait. M. Tricoupi lui-même n’y comptait plus guère ; toutefois, avec son esprit systématique et avec cette fermeté de caractère qui est une de ses qualités, mais qui, poussée à l’excès, devient un défaut, il ne voulait pas retirer son malencontreux projet. « La Chambre est libre de le repousser, » disait-il.

Pendant ce temps, la situation s’aggravait au dehors. Une nouvelle réunion avait été annoncée pour le dimanche 8-20 janvier. Le ministère eut alors la pensée d’organiser une contre-manifestation pour atténuer l’effet du meeting projeté par ses adversaires. En outre la police, se fondant sur la crainte de voir l’ordre public troublé, interdit les rassemblemens sur les places situées dans l’intérieur de la ville. La réunion projetée dut adopter un autre point de rassemblement, situé dans la banlieue et plus facile à surveiller et à garder.

Quand on sort d’Athènes par la route de Patissia, on passe devant le Musée, où sont réunies aujourd’hui tant de richesses artistiques et archéologiques, puis on entre dans la banlieue et l’on aperçoit à sa droite un vaste rectangle adapté aux manœuvres militaires. C’est le Champ-de-Mars. Là se donnèrent rendez-vous, pour le 8-20 janvier, les amis et les ennemis du ministère. Les tricoupistes, moins nombreux, s’y étaient rendus les premiers. Les opposans, plus excités encore que lors des deux précédentes manifestations, s’étaient groupés sur différens points, devant l’Académie (qui sert en ce moment de cabinet des médailles), sur la place de la Concorde, etc. Ils se dirigeaient vers le lieu de la réunion, dispersés de temps en temps par des charges de police et de cavalerie, mais se reformant plus loin. Des