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plus que toute autre, aurait eu besoin, pour réussir, d’une période de calme et de prospérité. Dans un pays atteint par la faillite, par l’élévation du change, dans un moment où les revenus publics étaient insuffisans pour assurer le service de la dette, comment trouver les ressources nécessaires pour remplacer le produit des octrois ? M. Tricoupi proposa tout simplement de remplacer les taxes supprimées par une augmentation de l’impôt sur la propriété bâtie et de l’impôt sur les patentes. C’était frapper deux classes de contribuables déjà fort éprouvées par la crise. Dans des circonstances plus prospères, les propriétaires et les patentés auraient peut-être supporté avec plus de résignation le fardeau nouveau dont on voulait les charger, et surtout ils n’auraient pas trouvé dans les autres classes de la population le même appui pour résister aux projets du ministre.

Mais la crise générale était arrivée à un tel point que la proposition d’abrogation des octrois fut une occasion pour tous les mécontentemens de se produire et pour toutes les hostilités de se manifester. Dans les principales villes du Péloponnèse, à Corinthe, à Palras, à Pyrgos, à Calamata, s’organisèrent des syllalitiria ou meetings d’indignation. De là, le mouvement finit par gagner la capitale, qui compte aujourd’hui près de 120 000 habitans, et où d’ailleurs M. Tricoupi, même au temps où sa popularité était sans rivale dans le reste de la Grèce, avait toujours rencontré une assez forte opposition.

La veille du premier jour de l’année grecque, qui correspond au 12 janvier de l’année grégorienne, un syllalitirion d’indignation se réunit sur la place de l’Omonia (la Concorde), qui, ce jour-là, mérita bien mal son nom, car on s’y livra aux plus amères récriminations contre le premier ministre. Une délégation fut chargée de porter au roi Georges les doléances des intéressés. Le roi la reçut avec courtoisie, mais se contenta de prendre acte des déclarations qui lui étaient faites et ne promit rien. Quelques jours après, M. Tricoupi recevait à son four les délégués, et alors s’engageait entre eux et le ministre une conversation qui a été diversement rapportée, mais qui, en tout cas, fut des deux côtés empreinte d’une extrême aigreur.

Le jeudi 5-17 janvier, nouvelle réunion, toujours en plein air, sur la place de l’Omonia, pour entendre le compte rendu des entrevues que les délégués avaient eues avec le roi et le premier ministre. Les délégués, fort excités par la discussion qui s’était élevée entre eux et M. Tricoupi, s’exprimèrent sur son compte en termes très vifs. La foule leur fit écho et vota une adresse dans laquelle le premier ministre était appelé « artisan des malheurs du peuple et auteur de la banqueroute. » La réunion,