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responsable d’une catastrophe qui serait probablement survenue sous tout autre ministère comme sous le sien, car elle est la conséquence d’un système pratiqué par tous les partis ; mais il est juste de dire qu’ayant été au pouvoir, sauf de courtes interruptions, durant ces dix dernières années, il a été personnellement l’auteur de la plupart des mesures gouvernementales qui ont précédé, préparé ou précipité la débâcle.

M. Tricoupi, au surplus, n’est pas homme à décliner les responsabilités. Energique et résolu, il tenait son parti d’une main de fer, tandis que M. Théodore Delyanni, nature plus gracieuse et plus flexible, laissait flotter les rênes et suivait ses amis plutôt qu’il ne les conduisait. On peut dire que pendant quelque temps M. Tricoupi exerça une véritable dictature parlementaire. Sa situation était exceptionnelle ; il en perdit un peu la tête. Comme d’autres hommes d’État de notre temps, il voulut faire grand, très grand. Il mena de front l’exécution d’un plan de dépenses militaires et d’un plan de travaux publics, le tout avec un budget dont les recettes atteignaient péniblement 100 millions par an. Malheureusement, il trouva du crédit. C’était l’époque où les financiers avaient la main large et la bourse ouverte pour tous les États en quête de capitaux et leur faisaient confiance d’autant plus facilement qu’ils étaient de simples intermédiaires et ne risquaient pas leur argent, mais celui du public.

La dette du petit royaume hellénique arriva en peu de temps au chiffre relativement énorme de 720 millions. Les arrérages à payer s’élevaient chaque année à 35 millions. C’était une charge hors de proportion avec les ressources budgétaires. Pour comble de malheur, les embarras financiers du Trésor se compliquèrent d’une crise économique que traversa le pays. La vente des raisins secs, dits de Corinthe, était la principale et presque la seule branche du commerce d’exportation. Elle fut atteinte par diverses causes, notamment par les mesures adoptées dans certains États en vue de protéger leurs produits nationaux. La raréfaction du numéraire en Grèce et l’élévation du change aggravaient le poids des engagemens de l’État, puisque le service des emprunts extérieurs devait être fait en or. C’est dans ces circonstances que le gouvernement hellénique, après quelques tentatives de négociations, se déclara impuissant à tenir ses engagemens, se mit en état de faillite et ne paya plus que 30 pour 100 des sommes dues aux créanciers de l’État.

Cette regrettable situation durait depuis plus d’un an, et les difficultés d’ordre économique et financier ne faisaient que s’accroître, lorsque M. Tricoupi eut l’idée de procéder à la suppression des octrois, réforme souhaitable assurément, mais qui,