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de présenter, dans un ordre et sous une forme qui les rendent aisément transmissibles, ce qu’elles pourront avoir d’idées, d’idées prises à autrui ou acquises par leur propre effort. N’est-ce pas là un résultat qui a son prix ? Or, c’est peut-être encore à nos futurs philosophes que cet apprentissage sera le plus utile ; c’est eux qui gagneront le plus à voir se prolonger le temps pendant lequel ils seront forcés d’écrire et de parler la langue commune, celle des honnêtes gens, à prendre ce mot dans le sens où l’employait le XVIIe siècle. Agacée par certains prédicateurs, une femme d’esprit, Mme de Gasparin, s’est moquée de ce qu’elle nommait le patois de Chanaan ; n’ai-je pas entendu, en Sorbonne, les maîtres les plus autorisés, ceux qui sont habitués à sonder les plus graves problèmes, se plaindre de ce que je me permettrai d’appeler le patois métaphysique ?

Si nous défendons l’éducation que tant de promotions reçurent à l’Ecole, est-ce à dire que nous rêvions d’enfermer nos élèves dans une sorte de scolastique arriérée et purement formelle, de les tenir à l’écart des recherches qui se poursuivent partout autour de nous ? À qui aurait pu venir cette pensée ? Est-ce à l’archéologue qui dirige l’Ecole ? Est-ce à des maîtres qui tous ont ressenti l’appel de cette curiosité à laquelle on doit, depuis une trentaine d’années, un si brillant renouveau de la science française ? Plusieurs d’entre eux, MM. Boissier, Tournier, Monod, en même temps qu’à l’Ecole, professent au Collège de France et à l’École des Hautes-Etudes. Leurs élèves pouvaient-ils ne pas les y suivre pour ne rien perdre de leçons qu’ils apprécient à leur juste valeur ?

Ces jeunes gens sont d’autant plus attirés au dehors, dans les grandes écoles nos voisines, que partout, là même où ils pourraient s’attendre à rencontrer des étrangers auxquels ils seraient indifférens, ils trouvent des camarades prêts à les accueillir et à les aider de leurs conseils.

À la Sorbonne comme au Collège de France, la plupart des chaires de l’enseignement classique sont occupées par des normaliens, et c’est à peine si on le remarque. Nous sommes là sur un terrain que, pendant longtemps, on n’a même pas songé à nous disputer, mais les concurrens sont venus. Qu’avons-nous fait ? Ce que font, quand ils se sentent étouffer dans leur étroit territoire, les peuples qui ne veulent pas déchoir ; nous avons été fonder au dehors des colonies, des colonies qui prospèrent. Cantonnés dans les trois derniers siècles, nous ne nous étions pas, jusqu’à ces dernières années, intéressés aux origines de notre langue et de notre littérature ; c’est sans