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États-Unis, malgré ce que nous savons des progrès qu’y fait l’Eglise catholique, tiennent fortement à lui par leurs racines mêmes, la multiplicité des sectes qui le représentent prouvant, mieux que tout le reste, combien il est vivace. J’attribuerais volontiers au libre examen l’exubérance de l’individualité, ce caractère essentiel de l’Amérique.

On ne se figure pas la culture bostonienne fondée sur une autre base que le vieil esprit puritain ; le mélange de morgue et de simplicité qui distingue Philadelphie, où de si grosses richesses se cachent dans des maisons petites et uniformes, atteste la présence de l’élément quaker plus ou moins mitigé ; partout l’église unitaire, grâce à sa remarquable élasticité, est le refuge de ceux qui tiennent à une profession religieuse aussi peu dogmatique que possible, tandis que l’église épiscopale, à laquelle le grand prédicateur Phillips Brooks amena, par son exemple et l’entraînement de sa parole, tant de recrues nouvelles, satisfait les consciences plus timorées qui tiennent à s’appuyer sur les formes précises d’un christianisme très proche du culte romain. Mais celui-ci ne m’a paru dominer franchement au Nord que dans le cosmopolite New-York : or tout le monde sait que, sur les deux millions et demi d’habitans que New-York renferme, un quart seulement peut revendiquer le nom d’Américains ; le reste appartient à toutes les nations du globe plus au moins complètement assimilées. Hors de là j’ai toujours eu, de l’Est à l’Ouest, le sentiment que le catholicisme devait son accroissement à l’immigration continue, et qu’il fallait tout le tact, toute la prudence, toute la supériorité de deux ou trois grands prélats animés du plus pur patriotisme pour éviter des chocs regrettables avec les écoles publiques, qui sont au fond pour les vrais Américains l’arche sainte. Lorsqu’on approche du Sud au contraire, il semble que le climat et les caractères se prêtent mieux aux influences latines, que la fusion devienne beaucoup plus facile. Je l’ai compris à l’hôpital de Johns Hopkins, qui réunit parmi ses infirmières des protestantes nées avec un tempérament de sœurs de charité ; des catholiques entraînées par goût vers les études médicales sans avoir le moyen de les pousser très loin ; des personnes obligées simplement, science et religion à part, de gagner leur vie d’une façon honorable ; mais toutes elles ont un trait en commun ; elles sont consciencieuses et dévouées.

Une blonde Baltimorienne dont je vois encore la svelte silhouette, la démarche légère, m’a dit, en m’offrant gaiement ses services :

— Avec quel chagrin nous avons appris que la France se