Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/836

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la morale chrétienne et la prière en commun, voilà tout ce qui est exigé. Qui sait si quelques-unes des croyances sur lesquelles a tant écrit miss Fletcher ne se confondent pas pour eux, de plus en plus épurées et spiritualisées, avec l’enseignement de l’Evangile ?

Vers la fin du lunch j’entends, à ma grande surprise, attaquer brillamment sous les fenêtres l’ouverture du Calife de Bagdad. C’est l’orchestre de trente instrumens qui donne une aubade à l’étrangère et qui, avec une courtoisie touchante, a choisi la musique de Boïeldieu pour lui rappeler la France. Dennison Wheelock, le chef d’orchestre, est un Oneida de pur sang, excellent musicien et même compositeur. L’orchestre de Carlisle obtint un immense succès à New-York le 10 octobre 1892, lors de la parade colombienne des écoles pour le quatrième centenaire de la découverte de l’Amérique. Il a été acclamé à l’ouverture de l’exposition de Chicago dans le défilé général dont le sens profond m’apparaît d’une façon toute nouvelle ; et maintenant encore, en se transportant d’une ville à l’autre pour diverses solennités, il sert puissamment la cause indienne : les descendans de Tecumseh et du Faucon Noir qui interprètent Mozart et Wagner s’imposent bon gré mal gré à la civilisation. Dans une de ces tournées instrumentales à Washington, un élève de l’école put, sans exciter autre chose qu’une sympathique gaîté, prédire, en terminant un speech fort bien tourné, le jour où les siens, non contens de siéger au Capitole, monteraient peut-être d’un degré à l’autre jusqu’à la Maison Manche du président. Les étudians de Carlisle, groupés par clubs, se préparent aux débats politiques de l’avenir, tandis que leurs sœurs se réunissent en sociétés littéraires comme dans les collèges blancs. J’ajouterai qu’à l’instar de beaucoup de faces pâles, les hommes rouges critiquent l’excès de culture chez le beau sexe, et que celui-ci se moque de la désapprobation masculine.

Tous ces longs détails sur une race qui ne compose aux États-Unis qu’une minorité infime, qui ne fait même point partie de la nation, n’ayant pas de représentans dans les assemblées politiques, seront trouvés, j’en ai peur, bien étrangers à mon sujet. Il m’a semblé cependant que l’effort fait pour marquer au sceau de l’individualisme américain ces enfans des dernières tribus, qui n’eurent point d’historien depuis Fenimore Cooper, méritait d’être signalé, d’autant plus que l’impulsion scientifique du mouvement en faveur des Indiens fut donnée par une femme ; que des femmes aident puissamment à les instruire ; et que, même dans les régions mondaines qui peuvent passer pour frivoles, les