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ce que c’est que l’ordre et même l’élégance. Aussi rangent-ils soigneusement leurs petites chambres.

Les jeunes filles prennent l’habitude d’un intérieur bien tenu dans les agréables logemens qui leur sont assignés, chambres à deux ou trois lits qu’elles peuvent décorer à leur guise. J’y remarque un grand luxe d’images symboliques, par exemple : Jésus ressuscitant la fille de Jaïre, — ou bien une forêt touffue avec cette inscription : « Je te mènerai par des chemins que tu ne connais pas. » Nous pénétrons dans le petit hôpital admirablement aménagé ; deux ou trois pauvres filles y languissent ; elles portent les signes de cette consomption qui fait tant de ravages parmi les Indiens. La phtisie, les affections scrofuleuses, les maux d’yeux, la terrible hystérie sont leurs pires ennemis. Ils ont beaucoup moins de force vitale que les nègres qui, eux-mêmes, en ont moins que les blancs. Cependant, sous l’influence d’un entraînement physique et mental régulier, leur système nerveux se fortifie. Ceci m’est affirmé par un jeune médecin apache attaché à l’établissement.

L’imprimerie m’intéresse d’une façon toute particulière. On y imprime deux journaux que depuis lors j’ai continué à lire assidûment : l’un d’eux hebdomadaire : The Indian helper, l’Aide des Indiens, qui tient le monde extérieur au courant de tous les incidens caractéristiques de l’école ; l’autre : The Red Man, l’Homme rouge, où est traitée à fond la question indienne. Beaucoup d’articles de ces deux feuilles sont écrits par les gradués de Carliste, et il arrive qu’on y donne place aux compositions naïves de quelque nouveau venu.

Un grand silence règne dans les ateliers comme dans les classes : l’attitude de tous ces Indiens me frappe par une sorte de dignité un peu triste. Mais le capitaine répond à mes réflexions qu’il faut les voir dans les parties de base ball, de foot ball et autres exercices athlétiques, qui s’engagent entre eux et les jeunes gens des écoles voisines. Leur entrain ne le cède à celui de personne. — Violens, querelleurs ? Non, pas plus que d’autres ; depuis quatorze ans il n’y a eu qu’une rixe grave, et il s’en est remis pour le jugement des coupables à une espèce de cour martiale ; composée de leurs condisciples : les deux adversaires ont été condamnés à rester prisonniers au corps de garde jusqu’à parfaite réconciliation. — Et point de méfaits, de scandales d’aucune sorte ? — Nous avons eu un vol, répond le capitaine, un vol en quatorze ans ! J’ai arrêté moi-même le voleur et l’ai livré à la justice. — Quant à la moralité, il n’y a rien, absolument rien à reprendre.

Le capitaine Pratt surveille tout de ses yeux :