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gens de couleur, persuadés que science devait être synonyme de pouvoir. La plupart des administrateurs avaient peu de confiance d’abord dans la perfectibilité de l’homme rouge, mais ils durent revenir de leurs préventions, car le capitaine fut chargé ensuite d’aller chercher sur les réserves une cinquantaine d’enfans des deux sexes, jugés aptes à profiter de l’éducation industrielle.

Aucune des collisions redoutées avec les noirs ne se produisit ; cependant R. R. Pratt jugea bientôt qu’il y aurait profit à isoler ses Indiens. En 1879, il obtint du gouvernement la permission d’installer une école à Carlisle dans les anciennes casernes de cavalerie ; 150 Indiens furent dirigés sur cette petite ville ; leur nombre s’élève aujourd’hui à 700, représentant 24 tribus différentes, c’est-à-dire qu’ils sont plus nombreux à eux seuls que tous les élèves de Hampton. Dans ma curiosité de les voir je retournai tout exprès de Washington à Harrisburg, capitale de la Pensylvanie, non loin de laquelle se trouve Carlisle. Jusque-là mes connaissances sur la question indienne avaient été des plus vagues et des plus embrouillées. Sous l’influence d’idées sentimentales puisées dans les Natchez et dans Atala, j’avais appris avec regret que 350 Indiens environ, garçons et filles, appartenant à une école industrielle, avaient défilé à l’exposition de Chicago, les garçons en uniforme, les filles en costume de serge bleue à la mode, musique en tête, marquant le pas gymnastique et portant triomphalement les insignes de leurs divers métiers.

— Pourquoi, m’étais-je dit, devant deux ou trois figurans du Midway, pittoresquement drapés dans leurs couvertures et ne faisant rien que fumer leur pipe, pourquoi ne les laisse-t-on pas comme ceux-ci à la simplicité des mœurs primitives ?

Plus tard, à Boston, j’avais déploré de même qu’une jeune Mohawke trop civilisée — qu’on appelait miss Johnson, tandis qu’elle eût pu être Hiawatha ou Celuta — récitât des vers au profit des écoles de sa réserve dans une vente de charité où les dames offraient aux acheteurs les ravissantes corbeilles d’herbes aromatiques ou de roseaux qui, avec les mocassins brodés de perles, représentent l’industrie autochtone. Puis, à New-York, je ne vis plus guère de Peaux-Rouges, sauf les innombrables figures de bois grossièrement peintes et taillées, qui au milieu du trottoir, devant chaque débit de tabac, sont censées rappeler les Iroquois ou les Mohicans ; je recueillais cependant d’affreux détails sur les réserves où certains agens du service civil sont trop souvent tentés de s’enrichir aux dépens des sauvages qu’ils devraient protéger. La rencontre d’un Indien tout à fait exceptionnel dans l’un des