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de la politique se donnent corps et âme à une cause généralement représentée pour elles par un héros quelconque, prince, tribun ou aventurier. Mais on n’est l’Egérie de tel ou tel parti qu’à la condition que ce parti existe ; or, s’il y a un point où tous les esprits s’accordent aux États-Unis, c’est sur les mérites indiscutables du mode de gouvernement. La division des citoyens en démocrates et en républicains n’offre rien qui soit de nature à stimuler la passion chez une Roland ou une Staël. La liberté n’est pas menacée, on ne voit poindre à l’horizon ni tyran ni sauveur providentiel, ni aucun de ces prétendans auxquels les femmes se dévouent avec une exaltation proche parente de l’amour. La politique réduite à ce qu’elle est en Amérique tombe au rang de grosse besogne ; elle ne peut avoir d’attrait que si elle confère un pouvoir reconnu. Il n’existe donc pas de salons politiques comme nous l’entendons, même à Washington, où l’affluence des politiciens vous fait éprouver cependant l’impression que produisent les joueurs à Monte-Carlo. On se dit : « Quelle ville charmante ce serait sans cette lèpre ! » Ses blancs monumens de marbre, ses longues perspectives ombreuses, ses statues entourées de jardins, à l’intersection de presque toutes les rues, son luxe de parcs et de squares semble la consacrer à d’élégans loisirs ; et en effet les femmes s’y amusent beaucoup ; il paraît que la grande affaire mondaine est le triomphe des buds, des rose buds, boutons de roses à leurs débuts, autour desquels s’empressent les jeunes papillons, attachés d’ambassade. La chasse au mari, remplacée quelquefois ailleurs par le genre de flirt plus subtil qui a pour objet de conquérir des amis et de les garder sans engagement, la vieille chasse au mari fort antérieure à la chasse aux diplômes, est menée avec une ardeur naïve par ces demoiselles à travers les fêtes de la saison. Débuts, succès, toilettes, déplacemens, réceptions, tout cela trouve un écho dans le journal hebdomadaire qui a nom Kate Field’s Washington, le nom de la ville, allié à celui d’une femme, sa directrice.

Le Washington de Kate Field fait un peu penser à ce qu’était originairement le Figaro ; il réunit dans un cahier lancé chaque semaine toutes les nouvelles de l’endroit, et des articles souvent brillans sur des questions beaucoup plus générales. Ce fut ainsi qu’il s’évertua le premier, et nous devons lui en être reconnaissans, à obtenir l’abolition du tarif sur les œuvres d’art, au nom d’une courtoisie internationale bien entendue qui profiterait à l’éducation, cette pierre angulaire sur laquelle tout est fondé en Amérique. Kate Field n’est point ignorante de ce qui se passe à l’étranger ; elle a ses petites anecdotes parisiennes, elle demande qu’une