dont elles furent les instigatrices, a fait presque canoniser les sublimes énergumènes des premiers temps. Il faut toutefois féliciter celles qui tiennent aujourd’hui la bannière des droits de la femme, d’avoir changé de ton, de s’être assagies, de n’offrir plus rien de commun avec les shriekers dont il ne survit qu’un ou deux échantillons. Du reste, les cris n’auraient plus de raison d’être. Que manque-t-il à l’Américaine pour se sentir puissante ? Jeune fille, elle a la préséance en tout, elle est reine, avec une liberté que les reines ne possèdent pas toujours. Mariée à son gré, sans qu’aucun contrôle, aucune influence en décide, elle est l’enfant gâté de l’homme qui travaille sans relâche à réaliser ses fantaisies, en admettant du moins que cet homme soit bon, comme il l’est presque toujours. Dans le cas contraire, elle peut recourir au divorce, sans autre difficulté que celle d’entreprendre au besoin un petit voyage, comme le fit, l’année dernière encore, une charmante comédienne qui, pour convoler une cinquième fois en de justes noces sans péril de devenir bigame, dut traverser la rivière, sauter de l’État de New-York dans l’État de New-Jersey, où la loi est plus clémente. S’il est facile de divorcer, il n’est nullement impossible de passer pour mariée sans l’être et d’obtenir les avantages d’une union légitime, en dehors même de la régularité, puisque la justice, sinon le monde, considère deux amans comme des époux, à la condition que leur vie en commun ait été, pendant plusieurs années consécutives, de notoriété publique. L’existence d’un enfant, en ces conditions, rendrait fort douteux que la famille pût revendiquer avec la moindre chance de succès une part d’héritage.
La femme veut-elle s’affranchir et du mariage et de l’amour ? Toutes les carrières lui sont ouvertes, et dans toutes elle pourra vivre entourée de la considération générale, au théâtre comme ailleurs. Les Américains parlent de Charlotte Cushman du même ton que les Anglais de Fanny Kemble, et peut-être est-il plus aisé encore chez eux qu’en Angleterre de s’assurer la réputation d’une « Madone de l’Art. »
Tout ce qui est du théâtre inspire a priori l’engouement le plus sincère. Une fillette de dix-sept ans ne s’est-elle pas écriée devant moi : « La Duse est mon amie intime ! » Une dame, tout en applaudissant avec ardeur Jean de Reszké et Mlle Calvé, réunis à New-York dans le chef-d’œuvre de Bizet, ne songeait plus qu’au plaisir d’inviter Carmen à dîner ; j’ai vu le portrait de Mme Jane Hading à une place d’honneur, au milieu, de portraits de famille. En revanche plusieurs se sont privés d’applaudir au théâtre une