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où son feu devient efficace ; puis des bonds successifs, déterminés par l’entrée en ligne des soutiens qui se portent en groupe compact sur la ligne, l’amènent à 250 mètres environ de l’adversaire : c’est la distance d’assaut. L’arrivée de la réserve détermine le choc final.

Le tableau ainsi présenté est assurément bien net et l’image du combat est vive. Mais qui ne sent tout ce qu’il y a de factice et de convenu dans cette théorie ? A quoi correspond cette division du terrain en trois zones et de l’action en trois phases ? Dans la réalité, le défenseur qui prend position se ménage sur son front un champ de tir. Ce champ de tir est découvert, c’est le glacis de la position. Ce glacis, battu directement par les feux de la défense, est inabordable ; au-delà, les couverts et les formes du terrain elles-mêmes permettent à l’assaillant qui sait les utiliser de se porter en avant, de cheminer jusqu’au pied du glacis. Mais ce glacis lui-même est d’une étendue très variable : il peut se restreindre à 300 mètres en certains endroits, en d’autres s’étendre jusqu’à 800 ou 1 000 mètres. Il ne peut rien y avoir de fixe en cette matière.

C’est une erreur que de se représenter la ligne des tirailleurs comme une ligne pleine d’hommes coude à coude, droite et rigide. Ce sera une ligne sinueuse, qui dessinera le pied du glacis de la position ennemie, point que les tirailleurs auront toujours pu atteindre assez aisément, mais qu’ils ne pourront plus dépasser sans un violent effort. La chaîne présentera des saillans et des rentrans, il y aura des pleins et des vides.

C’est une illusion que de compter, comme le fait la théorie réglementaire, sur les impulsions successives que les soutiens doivent donner à la chaîne pour la porter jusqu’à distance d’assaut.

Cette mission spéciale, ils seront impuissans à la remplir.

Ils seront impuissans, d’abord parce que, exposés au feu aussi bien que la chaîne elle-même, puisqu’ils en sont à peine à quelques mètres en arrière, et bien vite las de supporter des coups sans les rendre, ces soutiens disparaîtront rapidement, se fondront dans la ligne, se borneront à renforcer son feu, au lieu d’attendre sous le feu le moment de s’y jeter pour l’entraîner en avant, comme l’entendait la théorie de 1884.

Est-il certain, est-il même probable que l’arrivée sur la chaîne de 25 à 30 hommes plus ou moins groupés détermine les tirailleurs à se lever, à quitter peut-être un abri passager pour aller se jeter quelque cinquante mètres plus loin sans profit appréciable sous le feu de l’adversaire ? Un instinct sûr avertira l’homme qu’un pareil mouvement est aussi inutile que