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autrichiens, paralysait subitement leur mouvement en avant, semait le désordre et la confusion. C’était le moment que guettaient les commandans de compagnie : à la tête des fractions qui restaient groupées dans leurs mains, ils s’élançaient vigoureusement à leur tour en avant, renversaient les débris des colonnes ennemies, achevaient de les disperser et les chassaient de vive force de leur position.

Il semblait donc, au lendemain de Sadowa, non seulement que la colonne de bataillon avait fait son temps comme formation de combat et d’attaque, mais aussi que la colonne de compagnie devait la remplacer pour le choc et que les tirailleurs devaient avoir à l’avenir, par leur feu, un rôle prépondérant dans l’action.

Ces résultats furent acceptés sans réserve par l’armée allemande, qui donna aussitôt un extrême développement à son nouveau mode de combat. La littérature militaire allemande de cette époque fourmille d’opuscules où ces idées sont développées et célébrées avec une vivacité qui confine à l’enthousiasme. Une brochure alors célèbre, et que l’on ne craignit pas d’attribuer aux plus hautes personnalités de l’armée[1], résumait en ces termes l’impression générale : « Le combat en tirailleurs est la seule formation de combat de l’infanterie, et l’indépendance des capitaines le seul moyen de mettre en œuvre l’ordre nouveau. »

Ainsi l’indépendance du capitaine, l’émancipation de la compagnie, devinrent le thème d’incessans dithyrambes. On alla jusqu’à attribuer aux seuls capitaines à la tête de leur compagnie indépendante tout l’honneur des victoires de 1866. « Tous les succès de la campagne de 1866, concluait la brochure citée plus haut, sont dus aux chefs de compagnie. »

C’était aller loin et vite. Déjà, en effet, les tacticiens allemands ne se bornaient plus à trouver dans l’emploi de la colonne de compagnie une simple modification, ils ne se contentaient pas de réclamer cette réforme en vue de rendre le bataillon plus maniable et moins exposé aux coups de l’ennemi ; déjà ils admettaient que les quatre sous-unités entre lesquelles se fractionnait le bataillon devaient être indépendantes, que leur autonomie au combat devait être assurée et complète. Ils n’hésitaient pas à transporter du bataillon à la compagnie le nom comme le rôle d’unité tactique de combat, à faire de la ligne des tirailleurs la véritable ligne de combat, et commençaient même à entrevoir dans la puissance de leur feu le véritable et unique

  1. L’auteur en était le capitaine May, brillant officier tué, en 1870, à la bataille de Saint-Quentin.