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importance aux procédés de la tactique napoléonienne. Au lieu de manœuvrer, d’agir, de se battre par bataillon de 500 à 600 hommes d’effectif, les Prussiens pensaient qu’il était préférable de le faire par compagnie de 250 hommes : l’effectif était moindre, mais les procédés devaient rester les mêmes.

Ce qui donna tout à coup à cette innovation, discutable en elle-même, lorsqu’elle fut adoptée par la Prusse, une importance extrême, une incalculable portée, ce fut l’apparition du fusil moderne. Peu de temps après l’avoir introduite dans son règlement, la Prusse avait également la hardiesse d’adopter le fusil à aiguille. Le mérite de cette arme nouvelle consistait uniquement dans la vitesse décuplée, de son tir. Sous tous les autres rapports, elle était médiocre et fort inférieure aux armes alors en usage, et c’est pourquoi elle fut rejetée par toutes les armées européennes ; mais la vitesse de son tir devait suffire à compenser tous ses autres défauts dans la pensée des généraux prussiens, et ils ne se trompaient pas.

Or aucune formation tactique ne pouvait être mieux appropriée à la propriété particulière de l’arme nouvelle — la vitesse de tir — que la colonne de compagnie. Son extrême souplesse, sa mobilité par tous les terrains, la facilité qu’elle donnait de lancer et de mouvoir de nombreux tirailleurs, devaient permettre d’en tirer un extraordinaire parti. C’était donc un rare bonheur pour la Prusse que d’adopter à la fois et l’arme nouvelle et la formation tactique qui y correspondait le mieux.

Mais l’emploi de la colonne de compagnie avait un danger que l’expérience devait mettre en relief, et contre lequel il était, dès l’abord, difficile de se prémunir.

Le bataillon, en effet, une fois subdivisé en quatre petites colonnes de compagnie, cessait de former un tout dans la main de son chef et d’agir sous son impulsion directe : ces quatre sous-unités devenaient indépendantes les unes des autres ; elles devaient agir séparément. Le rôle du chef de bataillon devait donc se borner à diriger l’ensemble des mouvemens, à coordonner les efforts ; le capitaine devenait le véritable agent d’exécution. Il était à craindre que, lancé dans cette voie, on ne sût pas s’arrêter à temps ; que l’indépendance des compagnies n’aboutit à l’émiettement des forces, l’action séparée à l’action isolée et successive, pour conduire au décousu, au désordre, à la confusion. Il était à craindre surtout qu’en faisant ainsi légèrement, et presque sans s’en douter, un premier pas dans la voie de l’affaiblissement de l’instrument du choc, la colonne de bataillon, on n’en vînt à le fractionner de plus en plus, jusqu’à perdre de vue le choc lui-même