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C’est bien ce qui se passa, en effet, en 1859. Certes, ce ne fut pas à la stricte application du règlement sur les évolutions de ligne que furent dus les succès de cette campagne. On s’empressa d’oublier la théorie écrite ; on en revint, pour la pratique, aux saines traditions de l’Empire. Là encore ce furent les tirailleurs et les petites colonnes qui se chargèrent de la besogne. Les guerres d’Afrique avaient eu, à tout le moins, le mérite de conserver, dans la masse de l’armée, l’esprit d’initiative, d’offensive à outrance. Il se traduisit par le retour pur et simple aux pratiques élémentaires de l’ordre profond : le combat par petites colonnes de bataillon, précédées, flanquées, accompagnées de nombreux tirailleurs.

Il semble que cette nouvelle épreuve de l’inanité de nos manœuvres réglementaires et de la contradiction qu’offraient une théorie surannée et une pratique victorieuse eût dû faire ouvrir les yeux : il n’en fut rien. La guerre finie, tout rentra dans l’ordre… dans le statu quo. « En France, écrivait le général Renard, la gloire militaire semble aveugler les tacticiens. On y dit : « Nous avons vaincu tous les peuples de l’Europe avec notre organisation actuelle, et nous les vaincrons encore. »

Ainsi, après trente ans de guerres en Afrique, après 1854, après 1859, après tant d’expériences sanglantes, la tactique officielle restait celle des vieux règlemens de 1791, celle de Frédéric II, la tactique linéaire. Elle était ruinée dans les esprits et discréditée, mais non remplacée. Comme l’anomalie d’une pareille situation ne paraissait pas inquiéter le haut commandement, on en était venu à dire et à croire communément qu’on ne pouvait réellement rien faire en temps de paix qui servit à la guerre, et qu’il était vraiment bien inutile de s’y préparer par l’étude ; que, le moment venu, les fils sauraient bien se débrouiller comme l’avaient su faire les pères.


IV

La Prusse ne partageait pas cet avis. Waterloo et 1815 n’avaient pas assouvi sa haine héréditaire : les jours se passaient à préparer la revanche, on y travaillait sans relâche.

Dès le lendemain de 1807, les Prussiens n’avaient pas hésité à reconnaître que leurs revers étaient dus aux défectueuses méthodes de combat qu’ils avaient pratiquées. Ils répudièrent sans hésitation les traditions léguées par le grand roi ; ils abandonnèrent sans arrière-pensée la tactique linéaire, ils adoptèrent et préconisèrent « l’emploi des tirailleurs soutenus par les colonnes,