Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/774

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, en effet, l’ordre linéaire avait régné en maître sur les champs de bataille. Il était né du jour où l’arme à feu était devenue maniable, où le fusil avait pu être l’arme unique du fantassin. Depuis lors il n’avait pas cessé de se développer et de s’imposer de plus en plus aux pratiques des armées. Toute l’histoire de la tactique depuis Gustave-Adolphe jusqu’à Frédéric II peut se résumer en une phrase :

Utilisation de plus en plus exclusive des propriétés de l’arme à feu ; abandon de plus en plus complet des procédés tactiques antérieurs qui avaient en vue le choc, c’est-à-dire la charge, aboutissant au combat direct d’homme à homme.

L’ordre linéaire reposait tout entier sur la prépondérance absolue du feu de l’infanterie, et il subordonnait tous les mouvemens, tous les procédés de combat au bon emploi du fusil ; partant la formation en ligne déployée — les hommes coude à coude, sur trois rangs, — était la base de toute manœuvre, l’ordre fondamental de combat pour l’attaque aussi bien que pour la défense. La colonne, condamnée, avait disparu des règlemens militaires aussi bien que des champs de bataille.

Mais ces exagérations tactiques, auxquelles la prépondérance absolue du feu de l’infanterie avait donné naissance, au détriment de la vieille tactique du choc, ne pouvaient s’imposer en France sans provoquer à la longue quelques protestations. Les formes si étroites, les minutieuses précautions, les réglementations si strictes et compliquées dont il avait fallu entourer l’ordre linéaire pour le rendre d’une pratique possible sinon facile, avaient fini par révolter le vieil esprit gaulois. Il sentait confusément qu’emprisonné dans ces formations raides et méthodiques, dans ce pédant mécanisme qui le transformait en automate, le Français voyait ses meilleures qualités annihilées, perdait l’avantage de son élan naturel, de la brusque impétuosité de son caractère. Instinctivement le fantassin français protestait contre toutes ces entraves qu’on lui imposait au nom de principes qu’il ne comprenait pas, et toujours et malgré tout il cherchait le moyen de revenir à la charge gaillarde, baïonnette bas, qui convenait à son tempérament. En pratique, il y revenait sans cesse, et c’était le secret de sa force.

Ce fut le chevalier de Folard qui osa le premier se faire l’écho de ce sentiment intime. Le premier, au milieu de rêveries et d’excentricités trop souvent incohérentes, il ne craignit pas d’affirmer hautement la supériorité du choc et l’impérieuse nécessité de revenir aux formations tactiques qui devaient le rendre possible.