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ont comparés plus d’une fois à des yeux d’aigle, et quelquefois aussi à une mer bleue qui se chauffe au soleil. Le roi Charles est, je crois, le premier prince régnant qui ait fait ou laissé paraître, de son vivant, son journal intime, et il faut souhaiter que son exemple soit suivi, que pour l’instruction des rois et des peuples, d’autres souverains nous initient aux mystères de leur âme et de leur politique.

Quoique les affaires de Roumanie tiennent, comme il est naturel, la principale place dans le journal publié par le témoin oculaire, il renferme plus d’une information curieuse sur tel épisode de la politique générale, et en particulier sur un incident qui eut de grandes et tragiques conséquences, et changea la face de l’Europe, à savoir la candidature du prince Léopold de Hohenzollern à la couronne d’Espagne, en 1870. C’est un sujet que tout récemment M. de Sybel a traité dans le VIIe volume de son histoire du nouvel empire allemand. Il faut rendre à cet historien de grand mérite la justice qu’il a fait preuve d’impartialité et renoncé à soutenir une vieille thèse qui n’est plus soutenable, à représenter la France comme s’étant rendue coupable d’une agression aussi préméditée qu’injuste, et l’Allemagne comme une nation pacifique, réduite, malgré elle, à la nécessité de se défendre. Cette légende est désormais hors de cours. M. de Sybel a tâché d’établir qu’en 1870, ni l’Allemagne ni la France ne voulaient la guerre, qu’elle a éclaté par l’effet de circonstances fâcheuses, moins imputables à la volonté des hommes qu’à la force fatale des situations. Il doit regretter de n’avoir pu faire usage des indiscrétions du témoin oculaire. Il aurait modifié ses conclusions, s’il avait eu sous les yeux les pièces authentiques, probantes, décisives, que le roi Charles a consenti à tirer de ses précieux cartons, et qui jettent un jour nouveau sur la candidature du prince Léopold, sur le rôle joué en cette occurrence par le prétendant lui-même, par son père le prince Charles-Antoine, par le roi Guillaume et par M. de Bismarck.

Ce n’était pas la première fois que M. de Bismarck, le roi Guillaume et le prince Charles-Antoine avaient à s’occuper ensemble de la réponse qu’il convenait de faire à un peuple désireux d’être gouverné par un prince de la maison de Hohenzollern. Le cas s’était présenté en 1866 lorsque les Roumains adressèrent un pressant appel au prince Charles. Les renseignemens que nous fournit à ce sujet le roi de Roumanie, par l’intermédiaire de ce témoin pour qui il n’a point de secrets, nous montrent clairement comment les Hohenzollern traitent leurs affaires de famille, quand il n’y va pour eux que d’intérêts privés où la raison d’État n’a rien à voir, et qu’aucune passion politique n’est en jeu.

La négociation de 1866, à laquelle il est bon de s’arrêter un instant, offre quelques analogies et de grandes différences avec celle de 1870. En acceptant les offres des Roumains, on était assuré de ne causer aucun déplaisir à la France, qu’alors on ménageait beaucoup. Tout au