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« Il n’y a pas de village, dit M. de Lanessan, ni même de hameau qui n’ait son école fréquentée par tous les enfans… L’instruction comporte presque exclusivement les préceptes du savoir-vivre familial et social, avec les règles principales de l’administration et du gouvernement. Tout enfant qui suit les leçons de l’école est, en principe, un administrateur en herbe. Tout licencié peut croire que son bonnet noir à garniture d’argent protège le cerveau d’un futur ministre. Et il en est ainsi dans toute l’étendue de l’empire. Au Tonkin, comme dans l’Annam central, les enfans pullulent dans les écoles, et les concours des lettrés attirent tous les trois ans des milliers de candidats, qui deviendront un jour huyen (sous-préfet), phu (préfet), tong-doc (gouverneur de province), ministres ou régens et colonnes de l’Empire… Les fonctions publiques sont le but unique de tous ceux qui se livrent au travail intellectuel… Chacun voit dans le mandarinat le but vers lequel tous ont le droit de tendre les efforts de leur vie. »

Passons au commandant Famin, et avec lui à la grande Chine : « Le plus fort contrepoids à la puissance de l’Empereur a toujours été la corporation des lettrés, qui a résisté intacte à tous les changemens de dynasties… Tous les jeunes gens qui désirent entrer dans les services publics doivent passer par une série d’examens, à la suite desquels les plus capables obtiennent des certificats d’aptitude… Aux grands examens triennaux, dans la capitale de chaque province, il y a en moyenne de dix à douze mille compétiteurs, sur lesquels trois cents au maximum sont admis… Régulièrement, le souverain ne devrait choisir ses fonctionnaires civils que parmi les lettrés, en se conformant aux classifications établies par le concours ; mais, depuis un demi-siècle environ, le gouvernement a mis un grand nombre de places en vente pour remplir le trésor, et il a continué dans cette voie en accordant d’autres places pour mérite spécial, c’est-à-dire par faveur… Le résultat de cette violation des droits pourrait être, à bref délai, l’origine d’une crise sociale dont on ne saurait mesurer les conséquences. Les lettrés représentent, en effet, la partie la plus intelligente et la plus instruite de la nation : or, aujourd’hui, la grande majorité d’entre eux se trouvant sans place et, par suite, plongés dans la misère, ne peuvent qu’attaquer la société chinoise telle qu’elle existe… Le danger résultait déjà du nombre toujours croissant des lettrés pour un nombre de places fixe et très restreint. 250 000 étudians obtiennent aujourd’hui à chaque concours triennal les degrés inférieurs de lettré. Sur ce nombre, 6 000, un quarantième seulement, arrivent au grade de ku-yen, qui