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brousse et pirates, ils répondent en nous jetant à la tête nos boulevards extérieurs et nos escarpes.

Le commandant Famin constate une amélioration réelle ; mais il est moins affirmatif que son ancien chef : là où celui-ci met un dièse, M. Famin met un bécarre, dirait un compositeur politique. Le commandant rend compte d’une opération assez sérieuse, puisqu’elle nécessita trois colonnes de cinq cents bommes chacune, qu’il dirigea on janvier 1894 contre Than-An, dans le Kaï-Kinh, région rattachée naguère au territoire civil. Il existe encore des bandes dont les mœurs sont insuffisamment adoucies, puisqu’on y mange le cœur et le foie des prisonniers afin de se donner du courage. Notre officier croit que ces bandes se reforment avec la complicité de Luong-Tham-Ky et du Dé-Than ; il considère les enclaves abandonnées au bon plaisir de ces personnages comme un grave danger pour la colonie. Au mois d’août dernier, le Dé-Than faisait dérailler un train ; il s’emparait ensuite de deux de nos compatriotes ; mais c’était, déclarait-il, dans l’unique dessein de contraindre le protectorat à accepter sa soumission. Depuis lors, le Dé-Than s’occupe de commerce et d’agriculture. M. Famin ne semble pas rassuré par la conversion du rude adversaire qui écrivait au colonel Frey, en 1890 : « Nous sommes attachés à nos mœurs, et nous ne les abandonnerons jamais, même devant la mort, ayant pleine confiance dans le ciel, la terre et les cent dieux, qui connaissent parfaitement la mission qui nous est confiée dans ce monde et qui nous protègent. » — Bref, selon le gouverneur, le feu du grand brigandage est étouffé. Il couve sous la cendre et jette encore des flambées, à en croire le commandant. Mais qui croire ? Prenons acte de l’accalmie indiscutable, et réjouissons-nous en.

D’autres doutes nous assaillent quand nous passons aux deux problèmes qui ont le plus divisé les théoriciens de la politique tonkinoise. Convient-il de laisser l’administration aux anciens fonctionnaires annamites, ou devons-nous arracher les indigènes au joug et aux exactions de ce petit mandarinat ? Faut-il isoler le Tonkin de l’Annam, relâcher d’autant plus nos liens avec la cour de Hué que nous donnerons davantage le caractère d’une annexion a notre occupation du Delta ? Ce fut la politique de nos premiers représentans. Est-il au contraire préférable de considérer ces deux pays comme un tout indivisible, de raffermir leur soudure historique, et de faire peser directement notre protectorat sur l’Annam central, sauf à rendre au gouvernement de Hué quelque chose de son prestige et de son action sur ses anciens sujets tonkinois ? Tout gouverneur doit prendre une