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n’étiez qu’un petit garçon, dans ma classe de l’école du dimanche, la tragédie de ma vie était déjà jouée. Moi aussi j’ai côtoyé de bien près la passion et le péché, je n’ai pas peur de la vôtre ! Vous êtes aujourd’hui en vie, David Grieve, parce que je suis allé jadis à votre recherche dans la montagne, — pauvre brebis perdue que vous étiez, — et que je vous ai trouvé, par la miséricorde de Dieu ! » Comme on voit, c’est toujours la note religieuse qui se fait entendre et qui amène le dénouement.

Nous retrouvons la même inspiration dans Marcella, mais avec une application aux misères de la société. Les types de Robert Elsmere avaient été pris dans le clergé de village et dans le monde universitaire d’Oxford ; ceux de David Grieve appartenaient aux classes moyennes de la campagne et d’une grande ville ; l’auteur a choisi les personnages de son dernier roman chez les plus pauvres gens d’un village ou dans les faubourgs de Londres et dans les rangs de l’aristocratie, c’est-à-dire aux deux extrémités de l’échelle sociale. La donnée est originale et fertile en situations piquantes et parfois dramatiques.

Marcella, fille unique de M. Boyce, seigneur de Mellor, ancien membre du parlement, quasi ruiné par des spéculations véreuses, a rapporté de Londres des convictions socialistes. Aldous Raeburn, petit-fils et héritier de lord Maxwell, grand propriétaire et l’un des chefs du parti tory, la rencontre et s’éprend de son esprit et de sa beauté. Marcella éprouve pour lui plus d’estime et de reconnaissance que d’amour ; mais, séduite et conquise par l’ambitieuse idée de mettre au service de sa cause le grand nom et la fortune que Raeburn lui apporterait, elle agrée ses hommages et devient sa fiancée. On devine les difficultés, les tiraillemens sans nombre auxquels donne lieu cet engagement hétéroclite qui, à propos de la condamnation à mort d’un braconnier, dont Raeburn refuse de demander la grâce, est rompu par Marcella.

A la suite de cette rupture elle quitte Mellor, va faire, pendant un an, son apprentissage de garde-malade dans un hôpital de Londres et remplit le service d’infirmière de quartier dans le centre-ouest de Londres. Là elle entre en contact avec les classes les plus pauvres, les plus dégradées, elle est témoin des misères les plus atroces des grandes villes, n’étant soutenue que par son ardente charité et sans autres relations que ses amis Graven, les socialistes, et la famille d’Edw. Hallin, un ami de Raeburn. C’est alors qu’elle comprend que la « tragédie de la vie consiste dans le conflit entre les penchans du vieil homme et la sagesse cachée du monde qui semble les traverser. »

Rappelée à Mellor par la mort de son père, Marcella apprend