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C’est assez l’habitude anglaise : deux ou trois de nos pièces n’en composent qu’une des leurs. Et pour tout dire enfin, ces caractères épisodiques sont assez mal tracés, inconséquens, esquissés plutôt qu’observés et qu’étudiés.

Si l’on compare Robert Elsmere avec la Conversion de Jeanne dans les Scènes de la vie cléricale de George Eliot, on trouvera des analogies : Catherine rappelle Jeanne Dempster, la femme de l’avoué ivrogne, par sa résignation et sa charité ; il y a aussi chez Robert des traits de ressemblance avec le vicaire Tryan. George Eliot a su donner plus de vie et d’action à tous ses personnages, et combien son récit a plus d’unité et une plus vive allure ! Mais, où Mme Ward excelle, c’est dans la description des paysages du Westmoreland et du Surrey, dans la logique de pensée, et dans l’expression d’une pitié profonde pour tous ceux qui souffrent.

Ceci nous amène à son second roman : David Grieve. Si, dans le précédent, elle avait cherché à résoudre la crise morale née du conflit des croyances traditionnelles et de la science moderne, dans celui-ci elle s’attaque au problème de la souffrance on général. Le nom même qu’elle donne à son héros ne signifie-t-il pas en anglais chagrin, crève-cœur ? L’auteur nous y raconte la destinée de David et de Louise Grieve, deux orphelins que leur père, en mourant, a recommandés à son frère, et qui sont élevés à la campagne par leur tante, vraie mégère, laquelle tout en encaissant les rentes laissées par le père, les nourrit mal et les fait travailler à l’excès. Rien de plus accusé que le contraste entre le caractère de ces deux enfans, dont Mme Ward nous montre le développement à travers l’enfance, la jeunesse et l’âge mûr. David, c’est l’être intelligent et bon, avide de savoir et de tendresse, qui cherche la vérité et dont la paix est, à chaque instant, troublée par les caprices de sa sœur égoïste et tyrannique. Louise, au contraire, est une beauté sauvage et coquette, toujours mécontente, rebelle à toute direction, à tous conseils, n’aimant qu’elle-même et partant peu faite pour être aimée de façon durable. Les malheurs de la vie produisent des effets opposés sur ces deux natures : ils aigrissent le caractère de Louise, la rendent de plus en plus irritable et fantasque, jusqu’à ce qu’elle se révolte contre Dieu et finisse par le suicide. David, lui aussi, au milieu des orages de sa jeunesse est parfois hanté par la pensée d’en finir avec cette misérable vie ; mais il est deux fois sauvé par l’intervention de son vieil ami Ancrum, un ministre méthodiste de la même famille que le vicaire Tryan.

En somme, il sort de ses épreuves assagi, purifié de ses