signe de noblesse de l’âme humaine. D’ailleurs l’Évangile fait partie du patrimoine de l’humanité : le supprimer ce serait appauvrir notre vie morale. « Quelle folie serait-ce, dit Mme Ward, de vouloir mettre de côté le Jésus de l’histoire ? Sa vie, sa mort, sont à la base de nos institutions, comme l’alphabet, à la base de notre littérature. La vie de Bouddha, celle de Mahomet, ont pénétré les civilisations de l’Afrique et de l’Asie et y ont laissé une empreinte ineffaçable. Il en est de même du Christ par rapport à l’organisation sociale de l’Europe. Vous et moi, nous sommes imbus de sa pensée. Que faire donc ? Il faut imiter ce qu’a fait Jésus de son temps, car on n’abolit en fait de religion que ce qu’on remplace ; une idée ne peut être détruite par une ; force du dehors, elle ne peut disparaître qu’on se transformant en une idée plus vraie, plus pure, douée d’un prestige plus magique. Jésus n’a supplanté le judaïsme, et le christianisme, à son tour, n’a triomphé de la philosophie grecque ; qu’en s’assimilant, en ranimant ce qu’il y avait de meilleur en eux.
« Ce qu’il faut, c’est donc nous former une nouvelle conception du Christ (to reconceive the Christ), en remontant aux sources mêmes de son histoire, et en dégageant, des additions parasites qu’y ont ajoutées les siècles, son noyau central et vivifiant. Il s’agit, en d’autres termes, de traduire les vérités morales et religieuses de l’Évangile en langage moderne et populaire. Quand une fois nous aurons placé cette figure rajeunie du Christ au centre de nos vies, que nous on aurons fait le maître souverain de nos actions, il deviendra pour nous ce qu’il a été pour les siècles passés : le consolateur de nos afflictions et le libérateur de nos doutes et de nos servitudes. »
Mme Ward emploie cette nouvelle conception de l’Evangile tour à tour comme un remède aux divers maux dont souffrent nos contemporains. Elle traite d’abord les souffrances des croyans qui veulent penser et des penseurs qui voudraient croire, c’est le sujet de Robert Elsmere. Puis elle considère deux orphelins de la classe moyenne en lutte avec les épreuves et les tentations de la vie : c’est l’Histoire de David Grieve. Enfin, dans Marcella, elle cherche une solution au problème des misères de la classe laborieuse, en particulier des ouvriers de village ou des champs. Essayons, par une rapide esquisse, de montrer comment elle a mis en œuvre son idée, dans ces situations si différentes[1].
Robert Elsmere est l’histoire d’un jeune vicaire anglican, élevé
- ↑ Voyez sur Robert Elsmere, dans la Revue du 1er décembre 1889, l’étude de M. Th. Bentzon.