absorber dans le bonheur domestique, ne fit-il que stimuler leur activité littéraire. Ils passèrent neuf ans de leur vie à Oxford (1872-1880). Tandis, que le tuteur de Brasenose préparait une édition des Poètes anglais et s’exerçait, par l’examen des tableaux des maîtres anciens, aux fonctions de critique d’art, qu’il remplit actuellement au Times avec tant de compétence, sa jeune femme écrivait dans la Quarterly Review des articles sur Genève moderne ou sur la Littérature espagnole contemporaine et composait, pour le Dictionnaire de biographie chrétienne de Smith et Wace, des notices sur les princes wisigoths d’Espagne et sur les évêques et abbés qui ont converti à l’orthodoxie les dominateurs ariens de la péninsule. Dans ces notices, signées M.-A.-W., l’auteur a fait preuve d’une érudition et d’une sagacité critique remarquables chez une femme et s’est initiée aux questions de controverse dogmatique. Par là, surtout, Mme Ward apprit que la vérité, dans l’histoire religieuse comme dans toute autre science, ne s’achète qu’au prix d’une minutieuse et impartiale étude des documens primitifs et qu’elle ne triomphe, dans le monde, que-par le sang des martyrs.[1].
Après l’espagnole, c’était la littérature française qui passionnait le plus Mme Ward ; elle se plongea dans la lecture de nos romanciers, de nos critiques : George Sand et Octave Feuillet, Renan, Taine, Sainte-Beuve, Scherer. Ce dernier lui ayant signalé le Journal intime d’Amiel, elle fut captivée par ce récit mélancolique d’un penseur solitaire et par son accent de sincérité parfaite ; elle en fit une version qu’elle publia, avec une introduction sur la vie et les idées du philosophe genevois[2].
Elle avait publié auparavant ses deux premières nouvelles. L’une, — Milly et Olly[3], récit pour les enfans, composé sans doute à l’intention des siens, — passa presque inaperçue, bien qu’elle révélât déjà des qualités de fine observation et de vive allure dans le dialogue. Mais l’autre, Miss Bretherton[4], fut remarquée, parce que dans l’héroïne on reconnut une actrice célèbre, et à cause des allusions qu’on crut voir dans plusieurs autres personnages. L’actrice n’était autre que Mary Anderson, une jeune Américaine qui avait joué à Londres et qui avait dû son succès plus encore à sa beauté qu’à son talent. Or Mme Ward, rendant justice à la supériorité de l’art dramatique français, pensait que ses