exemple Titien ? Du climat, de l’atmosphère, de l’aspect et du caractère de la ville exquise est-il possible de dégager ou de déduire un idéal sonore comme un idéal coloré ? Démontrerait-on que cette musique est, aussi nécessairement que celle peinture, fille de ce ciel et fille de ces eaux ? Non sans doute, et la filiation, moins directe, est aussi moins apparente. Elle existe pourtant, et la musique, sans être un miroir aussi fidèle que la peinture, est un miroir encore.
Dans un tableau de Véronèse, c’est en quelque sorte le visage même de Venise que vous contemplerez ; vous entendrez son aine dans un psaume de Marcello. L’un vous la montre vivant dans sa lumière blonde ; l’autre chante la joie qu’elle a d’y vivre. Rappelez-vous certaines pages de Taine sur les paysages vénitiens, sur la lumière et l’eau des lagunes, sur le nouveau monde que rencontre là-bas la vision : « C’est un miroitement, un amollissement, un éclat incessant de teintes fondues… On passerait des heures à regarder ces dégradations, ces nuances… ces dehors ondoyans et voluptueux des choses[1]. » Toute pittoresque et sensible à l’œil seulement, ce n’est pas cette flottante Venise qu’on retrouve dans la ferme et franche musique de Marcello. Mais il est une autre Venise, et Taine encore l’a comprise et décrite ; il en a senti « la force joyeuse, épanouie, abandonnée, mais toujours noble, qui nage en pleine prospérité et en plein bonheur[2]. » C’est par la même noblesse et le même abandon, par cet épanouissement, cet air de bonheur et de prospérité ; c’est par une semblable force et par une joie pareille, que le maître des Psaumes est véritablement Vénitien. Il l’est à la manière robuste et fougueuse du peintre de l’Assomption. I cieli immensi narrano, c’est l’Assomption de Titien en musique. Taine toujours, a décrit le chef-d’œuvre peint avec des mots qu’on pourrait presque appliquer au chef-d’œuvre chanté : « Une teinte rougeâtre, dit-il, pourprée, intense, enveloppe le tableau tout entier : c’est la plus vigoureuse couleur, et par elle une sorte d’énergie saine transpire de toute la peinture. Au bas sont les apôtres… au-dessus d’eux, au milieu de l’air, la Vierge monte dans une gloire ardente comme la vapeur d’une fournaise ; elle est de leur race, saine et forte, sans exaltation ni sourire mystique, fièrement campée dans sa robe rouge qu’enveloppe un manteau bleu. L’étoffe se ploie en mille plis dans le mouvement du corps superbe ; son attitude est athlétique, son expression est grave… Rien de mou