Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

magnifiquement pieuses. I cieli immensi narrano ! Par les fenêtres ouvertes à la brise adriatique, les voix montaient dans l’immense azur du ciel vénitien, et portaient au Dieu que cet azur atteste, l’hommage d’un lyrisme éclatant.


III

Lyrique, voilà ce qu’est avant tout la musique de Marcello. Et presque toute musique alors était cela. La musique de théâtre ne faisant que de naître, un opéra consistait en une série d’airs, c’est-à-dire de monologues lyriques reliés entre eux par un récitatif insignifiant. « Toutes les scènes, écrivait le président de Brosses, sont en récitatifs. Elles se terminent régulièrement par un grand air. L’acteur s’en va parce qu’il a chanté son air, un autre reste parce qu’il en doit chanter un ; en un mot, je trouve qu’ils (les Italiens) n’entendent point cette partie de la liaison des scènes. » Ils ne l’entendaient pas en effet, et ne devaient pas être un jour les premiers à l’entendre. Lier les scènes, établir les rapports et l’unité entre des parties jusqu’alors étrangères et indépendantes ; de membres épars faire un seul corps ; l’envelopper d’un tissu et comme d’une chair homogène et souple, où circule le sang, où fleurit la vie ; entre le récitatif et les morceaux, ou, comme disait encore M. de Brosses, entre le remplissage et les endroits forts essayer de combler le fossé ; constituer en un mot et organiser le drame musical, c’était l’œuvre réservée au XIXe siècle, et de cette œuvre l’Allemagne et la France devaient être les grandes ouvrières.

N’importe, de ces vieux opéras, de ces rapsodies lyriques, les endroits forts étaient beaux quelquefois, et même sublimes. Il s’en rencontre de tels dans une œuvre de Marcello peu connue, mais très digne de l’être ; Ariane.


Ariane, ma sœur, de quel amour blessée…


C’est bien le sujet ; mais dans l’opéra de Marcello la royale demoiselle (regal donzella) n’a garde de mourir aux bords où elle fut laissée. Le livret italien, qui ne manque ni de poésie, ni de passion, ne manque pas non plus de gaîté. Il fait un peu de Thésée un héros d’opérette, et d’Ariane, acharnée à le poursuivre, l’émule tour à tour de deux Elvires également amoureuses, mais nobles inégalement : celle de Don Juan et celle de M. Cryptogame. Pour se débarrasser d’Ariane et s’enfuir avec Phèdre, Thésée n’a rien trouvé de mieux que de céder Ariane à Bacchus, en le chargeant de la consoler. Bacchus accepte, réussit, et ce