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come la perla), et qui remplissait l’âme de consolation ». Mais toujours il devait la quitter, appelé par des devoirs, des plaisirs même qu’elle ne pouvait partager. La mort seule le lui donna tout entier. N’ayant pu être l’épouse glorieuse, elle fut l’épouse affligée, et ce titre que lui avait refusé la vie, elle le prit du moins sur un tombeau.


II

Marcello, nous l’avons dit en commençant, n’est pas moins que Palestrina un génie représentatif. C’est parce qu’il est un type autant qu’une personnalité que nous l’avons choisi, et la forme d’art, la catégorie de l’idéal ou de la beauté sonore dont son œuvre est le signe éclatant, nous l’avons dit aussi, c’est la mélodie italienne.

Idéal aboli ! beauté morte ! s’écrient aujourd’hui les jeunes gens, ivres du vin nouveau. Laissons-les crier : ils sont aveugles et ils sont ingrats.

Aveugles, ils ne voient pas que pour les œuvres comme pour les hommes la véritable vie ne commence qu’à la mort. Que la musique tende et soit désormais destinée à se manifester de moins en moins par la mélodie pure, cela ne fait pas de doute, et dans ce sens on peut dire que la mélodie italienne est morte. On ne refera ni les sonates pour piano et violoncelle, ni les Psaumes de Marcello, pas plus qu’on ne refera les Noces de Cana du Véronèse. On ne refera pas davantage les dieux de Phidias, le Parthénon, les cathédrales gothiques, la tragédie de Racine ou Don Juan. Tous ces modes du beau, toutes ces formes d’art sont-elles donc mortes ? Oui, sans doute, mais elles sont immortelles aussi. Désormais en dehors du temps, c’est à jamais qu’elles vivent et qu’elles sont belles. De leur beauté rien ne saurait plus se périmer ni se prescrire ; rien de leur vie ne peut plus mourir. En ce sens elle est vivante encore, la mélodie italienne, et pour l’éternité. « On ne la reverra plus », disent-ils. Non sans doute. Il faut donc l’en aimer davantage. » Aimez », a dit profondément le poète,


Aimez ce que jamais on ne verra deux fois.


Aussi bien on verra encore, on voit déjà quelque chose qui lui ressemble. Ne reparaît-elle pas, modifiée sans doute, mais pourtant reconnaissable, chez le plus digne héritier des maîtres italiens d’autrefois ? Torniamo all’ antico, a dit le musicien d’Othello et de Falstaff, et il est retourné là où il a dit. Othello, Falstaff, regardent le passé non moins que l’avenir, et le vieux