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Si Marcello jusqu’alors n’avait rien consacré à Dieu de son génie, le moment approchait où il allait le lui vouer sans réserve, et dans tout l’éclat de sa maturité. Il avait un ami, Girolamo-Ascanio Giustiniani, gentilhomme comme lui, comme lui musicien et poêle. Celui-ci, ayant imaginé de traduire ou plutôt de paraphraser en vers libres les psaumes de David, apporta bientôt un fragment de sa traduction, les dix premiers psaumes, à Marcello. Marcello, rapporte le P. Fontana, en loua l’élégance, la force et la facilité. « Or donc, lui dit Giustiniani, puisque vous daignez approuver ma modeste poésie, que ne la revêtez-vous d’une musique assortie à la gravité, à la sainteté du sujet ? La tentative est digne de vous et serait accueillie par l’enthousiasme et la reconnaissance de tous. » Marcello se mit à l’œuvre aussitôt, et l’œuvre fut le chef-d’œuvre qu’on admire encore. On l’admira dès qu’il parut : à Venise d’abord, puis dans les autres villes d’Italie, à Rome par exemple, où furent organisées de solennelles exécutions des Psaumes. Le succès ne fut pas moins prompt ni moins vif à l’étranger : en Angleterre, surtout en Allemagne, d’où un maître de chapelle nommé Telemann écrivait à Marcello : « Dans l’œuvre sublime et impérissable de vos Psaumes règne une majesté que tous les maîtres jusqu’à vous avaient ignorée. Harmonie, mélodie, symétrie sans affectation, on ne sait ici qu’admirer le plus. » — Matheson, maître de chapelle à Hambourg, remerciait ainsi Marcello des Psaumes qu’il venait à peine de recevoir : « Au lieu de ces parties différentes, de ces contrepoints fatigans et forcés qui jusqu’ici remplissaient les églises, Votre Excellence, unissant la fermeté à la douceur et la joie à l’édification, a trouvé des chemins où nul autre encore n’avait passé ; de telle sorte qu’après avoir dit autrefois : A la Palestrina, on dit maintenant : A la Marcello[1]. »

On va plus loin : on assure que les Psaumes opérèrent des conversions non seulement artistiques, mais pieuses, et ramenèrent des âmes à la foi. En tout cas, ils convertirent leur auteur le premier, et changèrent sa vie. « Ayant entrepris ce travail, écrit le P. Fontana, les pensées et les désirs salutaires se réveillèrent en lui ; d’heure en heure ils le sollicitaient plus vivement, l’aiguillonnant jour et nuit… Quand il chantait ses Psaumes, — car lui-même aux autres voix joignait sa voix, — son visage et ses yeux paraissaient enflammés. »

Il a dit, dans le premier de ses Sonetti a Dio : « Huit lustres j’ai déjà vécu. Hélas ! comment écrire — Que j’ai vécu et vécu

  1. Caffi, op. cit.