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favorisé l’agriculture et l’industrie allemandes, les progressistes ne cessaient de reprocher aux droits élevés d’avoir renchéri la vie, provoqué les coalitions de producteurs indigènes, et amené les autres nations à élever des barrières douanières encore plus rigoureuses que celles de l’Allemagne. Ils ont obtenu une satisfaction partielle par la conclusion des traités de commerce qui, depuis cinq ans, marquent une nouvelle évolution, sinon radicale, du moins significative, dans la politique commerciale allemande. Dès l’automne de 1890, le chancelier de Caprivi négocia avec l’Autriche-Hongrie, puis avec l’Italie, la Suisse et la Belgique : la durée de ces traités, successivement ratifiés par le Reichstag en 1891 et en 1892, s’étend jusqu’au 1er février 1904 et embrasse ainsi une période assez longue pour que l’industrie et le commerce puissent entreprendre avec sécurité des opérations d’une certaine importance. Ils assurent aux contractais le bénéfice réciproque de la clause de la nation la plus favorisée : défendent d’élever au-delà de certaines limites les droits sur nombre de marchandises spécifiées ; accordent à d’autres l’entrée en franchise.

Le traité de commerce russo-allemand a été signé à Berlin le 5 février 1894. Il est valable pour dix ans. Il abaisse de moitié les droits sur les charbons, et les câbles électriques allemands. Les industries textile, sidérurgique et chimique bénéficient d’abaissemens inférieurs à cinquante pour cent, mais encore considérables ; enfin la clause du traitement de la nation la plus favorisée garantit aux industriels allemands qu’ils ne se trouveront pas sur le marché russe en état d’infériorité vis-à-vis de leurs concurrens étrangers. La Russie de son côté bénéficie des droits réduits accordés par l’Allemagne à l’Autriche-Hongrie, et avant tout de celui de 3 marks 50 par quintal de blé. Les agrariens protestèrent de toutes leurs forces, mais les industriels, les chambres de commerce et la majorité du pays saluèrent avec joie l’acte qui ouvrait des perspectives nouvelles à l’activité nationale. Le traité avec la Russie a été le plus remarqué de tous parce qu’en dehors de son importance économique, on a voulu lui attribuer une valeur politique, qu’il n’avait peut-être pas, du moins aux yeux des Russes.

Telle est l’esquisse rapide des fluctuations de la politique douanière de l’Allemagne depuis la constitution de l’Empire. Afin d’achever d’en bien comprendre la portée, il convient de dégager l’esprit général de ses tarifs.

La classification[1] des douanes allemandes est moins scientifique que la nôtre : elle ne comporte que 43 chapitres, rangés selon

  1. Elle a été fort bien exposée dans un article de M. Ch. Dupuy, paru le 15 janvier 1894, dans les Annales de l’École des sciences politiques.