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Espagnole de ce temps-là. Elle se baignait en cet endroit. Et, de l’autre bord, Rodrigue la regardait. Il la trouva belle, et il se baigna avec elle. Florinde s’en plaignit d’abord au comte, son père, qui dit : « Ma fille, il n’y a rien à faire, puisque c’est noire roi. » Et ils s’aimèrent illicitement. C’est pourquoi, en punition de leur péché, les Arabes eurent de Dieu la permission de s’emparer de l’Espagne…

Nous gravissons les collines pelées, ardues, couleur d’abricot mur sous l’averse de rayons du couchant. Derrière nous, la ville s’abaisse lentement, pale et devenue toute petite dans le grand paysage de feu. Les sentiers, tantôt poussiéreux, tantôt rudes au pied, sont bordés partout de plantes sèches, qui n’ont plus une feuille verte, mais qui embaument. Mon guide s’est misa marcher près de moi.

— J’ai compris, monsieur, que vous aimiez les histoires. Et j’en sais une qui se rapporte à ce lieu. Elle m’a été contée par un marchand de lait de Tolède. Sentez-vous le parfum ?

— Délicieux.

— Nulle part au monde les plantes n’ont un parfum pareil. C’est un trésor. Les Maures le savent bien, et encore aujourd’hui ils se rappellent ce lieu, qui se nomme, chez nous, la Vierge de la Vallée. Un jour, un habitant de la ville avait été condamné à mort pour avoir tué son adversaire dans une lutte. Il s’en alla dans le pays qu’habitent les Maures, et servit comme esclave. Le maître auquel il appartenait était puissant et généreux. Mais un grand mal l’avait frappé : il était aveugle. Et, comme il tenait son esclave en grande amitié pour les bons services qu’il en recevait, il lui dit : « Mon fils, j’ai une mission à te confier. Prépare-toi, et va dans la montagne de Tolède, au lieu qui est nommé la Vierge de la Vallée. Tes anciens amis n’ont jamais vu ta barbe, qui a poussé au soleil du pays des Maures. Ils ne te reconnaîtront pas. D’ailleurs, tu n’entreras pas dans la ville, tu parcourras seulement la montagne pendant trois jours, et tu cueilleras une fleur de chacune des espèces que tu rencontreras. Parmi elles, il en est une qui guérit les yeux. Si tu me la rapportes, je te donnerai ce que tu me demanderas, fut-ce la moitié de mes trésors, et je te ferai mon héritier, et je te marierai avec ma fille.

L’esclave partit, chaussé de bonnes sandales pour la route. C’était l’époque de l’année où, sur les collines, un chien ne trouve pas à poser sa patte sans écraser une fleur. Il ramassa, pendant trois jours, toutes les sortes de plantes qu’il aperçut, et, à mesure qu’il avait découvert une espèce nouvelle, il mettait l’herbe dans son sac.

Personne ne le reconnut. Il retourna dans le pays des Maures, et son maître, en l’entendant venir, poussa un cri de joie : « Ah !