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remplir cette formalité à l’une des deux ambassades. Dans je ne sais quelle intention, lord Stratford me proposa, par correspondance, de nous assembler au palais de France. Sur mon insistance on décida de se rencontrer au palais d’Angleterre. Cette fois, je m’arrangeai de façon à arriver le dernier, à mon tour. Lui empruntant son expédient, je lui rendis son compliment sans rien y changer, et je tendis les deux mains aux ministres du Sultan. J’avais ainsi rétabli l’équilibre dans les procédés en présence des mêmes témoins.

Je n’eus plus à me rencontrer avec le noble lord. A la suite d’un dissentiment avec M. Drouyn de Lhuys, M. Thouvenel avait donné sa démission de directeur des affaires politiques, et rien n’avait pu le faire revenir sur sa détermination. Ne voulant pas se priver de ses services, l’empereur décida qu’il serait pourvu d’une ambassade. Celle de Constantinople étant vacante lui fut offerte, et il l’accepta. Il vint l’occuper au mois de juillet, et je pris congé de lord Stratford en déposant une carte à l’ambassade d’Angleterre avec le traditionnel P. P. C, pour aller à Paris recueillir la succession du nouvel ambassadeur.


VI

En arrêtant ici ces récits qui n’ont désormais qu’un intérêt bien lointain et fort effacé, je voudrais en dégager la moralité au point de vue de notre représentation diplomatique. Quoiqu’on en ait dit, la diplomatie n’est pas une science, comme la politique ; c’est un art. La politique a ses initiateurs ; elle a ses doctrines ; elle poursuit un but : le meilleur gouvernement des peuples. Elle s’avance dans une voie tracée par des esprits éminens ; chacun de ses progrès marque une étape nouvelle. La diplomatie au contraire ne vise que des faits contemporains, les intérêts particuliers à chaque nation ; ses succès dépendent de l’habileté de ses représentans. L’œuvre vaut ce que vaut l’ouvrier, et souvent elle n’est pas plus durable. Elle a des modèles, des exemples ; elle n’a pas d’institutions propres. Dans les circonstances solennelles, elle est à la merci des faits de guerre ; elle succombe ou triomphe avec les armées. Aussi exige-t-on, ajuste titre, de ceux qu’elle emploie des aptitudes personnelles, une préparation qui les rende propres à acquérir solidement la connaissance des hommes et des choses. Il est des esprits privilégiés que la nature a doués de qualités spéciales et qui laissent, après eux, la trace de leur passage ; la plupart les obtiennent par l’expérience, par l’observation, par une longue résidence. Une erreur funeste de notre ministère des