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Le chargé d’affaires :… — Mais il a surgi une autre affaire qui m’impose le devoir de présenter à Votre Altesse les plus sérieuses observations et je me hâte d’y arriver. Vous vous rappelez que je vous ai dit et répété que le gouvernement de l’empereur considérait l’ouverture du canal de Suez comme une entreprise utile à la prospérité de la Turquie, non moins utile au monde entier, que cette œuvre avait toutes ses sympathies, mais que je devais m’abstenir de m’en entretenir autrement avec les membres du Divan.

Le grand-vizir : — C’est parfaitement exact.

Le chargé d’affaires : — Quand le vice-roi d’Égypte vous a fait parvenir sa demande tendant à obtenir la sanction du Sultan, Votre Altesse en a saisi le conseil ; il fut décidé que de nouveaux éclaircissemens seraient demandés à Saïd-Pacha. Je n’avais aucune objection à faire, je n’en ai fait aucune. Mais en même temps on adressait au vice-roi une lettre confidentielle.

Le grand-vizir : — Je l’ignore.

Le chargé d’affaires continuant : — Dans laquelle on l’engageait vivement à renoncer à un projet auquel l’ambassadeur d’Angleterre était personnellement opposé ; on lui disait que les agens anglais sont toujours appuyés et soutenus par leur gouvernement, tandis que le gouvernement français, au contraire, n’ayant aucune stabilité, était dans l’habitude de désavouer les siens ; qu’il fallait, à tout prix, éviter d’éveiller la rancune de l’ambassadeur de la reine, rancune redoutée avec raison par tout le monde à Constantinople ; que, s’il voulait jouir paisiblement du gouvernement de l’Egypte, il ne devait pas s’exposer à appeler, devant Alexandrie, les flottes de l’Angleterre ; que, s’il persistait dans son dessein, il perdrait les bonnes grâces du Sultan. Votre Altesse connaît cette lettre ; elle a été signée par un membre du cabinet, le président du grand conseil : Kiamil-Pacha.

Le grand-vizir : — Je n’en ai eu connaissance qu’après son envoi. Je ne saurais d’ailleurs être responsable des fautes des autres. Si on veut m’en faire porter la responsabilité, c’est autre chose. La Porte du reste s’est trouvée dans une position bien difficile ; la France n’a pas voulu paraître pour ne pas donner de l’ombrage à l’Angleterre ; l’Angleterre, de son côté, s’est abstenue pour ménager la France ; que pouvions-nous faire ? Je ne me rappelle pas bien les termes de la lettre dont vous me parlez et je ne crois pas que les expressions que vous avez citées soient exactes. Kiamil-Pacha est beau-frère du vice-roi ; il lui a écrit comme membre de sa famille ; je n’ai rien à y voir.

Le chargé d’affaires : — Kiamil-Pacha est, avant tout, pour