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vienne l’Hercule chrétien, soutenu de toute la puissance de la foi populaire, il étouffera César. » Louis XVIII n’avait rien d’un Hercule ; le nouveau César est né catholique. Il n’aura garde de laisser au prétendant ce ciment des nations et ce levier d’Etat. « Ne perdez jamais de vue, écrit-il au gouvernement de Gênes, que, si vous mettez d’un côté la religion, je dirai même la superstition aux prises avec la liberté, la première l’emportera dans l’esprit du peuple. »

Or c’est le temps où, à Paris, les conseils, subissant l’impulsion des électeurs, rétablissaient la liberté des cultes ; la France semblait s’acheminer vers la seule constitution religieuse qui fût d’accord avec son nouveau régime ; la liberté de conscience allait enfin former le couronnement des libertés politiques dont elle aurait dû être la condition fondamentale. Les évêques constitutionnels qui restaient attachés à la révolution de 1789 et qui avaient conservé leur loi, préparaient la réunion d’un concile ; ils s’efforçaient de ménager une transaction avec le Saint-Siège, d’accorder l’Eglise gallicane avec elle-même et avec Rome. Une solution aussi libérale, — encore que paradoxale dans ce temps-là, — n’était point pour plaire à Bonaparte. Il était de son intérêt de profiter de la disposition des esprits, mais de ne la point laisser décliner vers une constitution religieuse à l’américaine. Son instinct césarien lui montra que la principale résistance à cet essai d’Eglise libre se trouverait à Rome, et que c’était à Rome qu’il trouverait son principal appui pour former une nouvelle Eglise d’Etat. Rome lui saurait gré de lui épargner le mauvais exemple d’un quasi-schisme. Rome paierait, aussi cher et aussi volontiers, la ruine définitive de l’Eglise gallicane que la restauration du catholicisme en France : elle paierait par la soumission de l’ancien clergé réfractaire. Elle semblait disposée. Elle était mise à sac par les exactions des commissaires du Directoire ; elle était exténuée. Pour exécuter le traité de Tolentino, écrivait Cacault, il faudrait faire de cette ville un vaste mont-de-piété. Bonaparte, sans rien céder sur le chapitre des objets d’art et des manuscrits, se montra enclin, sur l’article de l’argent, à des ménagemens. Le Pape répondit par des politesses. Les commissaires du Directoire, se sentant surveillés de près, imaginèrent de faire leur cour à Joséphine avec quelques statues qu’ils achetèrent sur leurs bénéfices. Le pape les fit rembourser, donna 3 000 écus romains, prit ainsi le présent à son compte et annonça l’envoi d’un collier de camées. « Le moment actuel, écrivit Bonaparte, le 3 août, est l’instant propice pour commencer à mettre à exécution cette grande œuvre où la sagesse, la politique et la vraie religion doivent jouer un si grand rôle… Le Pape… pensera peut-être qu’il