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inventé naguère par le Comité de salut public, pour se perpétuer dans le Directoire, et par la Convention pour se perpétuer dans les conseils : il l’a fait prévaloir, à Paris, à coups de canon, en vendémiaire ; il le prescrit, de son autorité de général en chef, dictatorialement, en Italie. Il ne peut rien attendre, en Italie, ni pour lui, ni pour la France, de ce qui a fait, en France, la force du gouvernement révolutionnaire : le petit peuple des villes, les paysans sont hostiles. Il appelle au pouvoir ce qui correspond, en France, aux hommes de 1789 : les bourgeois riches et éclairés, les propriétaires, les nobles « amis des lumières », les littérateurs, les juristes, les médecins, épris de démocratie, mais surtout jaloux d’autorité et avides d’emplois ; il s’associe enfin le haut clergé qui se soumettra au pouvoir afin de reconquérir quelque chose du pouvoir. Le gouvernement, ainsi constitué, regagnera les paysans par l’influence des prêtres rassurés, et par l’effet du bien-être ; quant au petit peuple des villes, ce sera l’affaire de la police, et au besoin, de la troupe. Bonaparte n’aura garde de confier aux conseils législatifs, même choisis par lui, la rédaction des lois fondamentales ; il les fait préparer d’avance et il les décrétera : ainsi les lois civiles, qui établissent le régime nouveau des personnes et des biens, les lois d’impôt, les lois de recrutement, les lois d’administration, tous les ressorts de l’État futur. Tenant les citoyens dans ses mains, il s’attachera à les concilier, à les rapprocher, à effacer les haines locales et les factions dans la soumission commune au gouvernement.

« Je refroidis les têtes chaudes et j’échauffe les têtes froides, » écrit-il au Directoire il développe son programme dans une lettre ou plutôt une instruction au Gouvernement provisoire de Gênes : « Les gouvernemens provisoires doivent exclusivement prendre conseil du salut public et de l’intérêt de la patrie… Il n’y a pas de confiance sous un gouvernement faible, il n’y a point de confiance dans un pays déchiré par les factions… La sagesse et la modération sont de tous les pays et de tous les siècles… Exigez que chaque citoyen soit à ses fonctions et que personne ne rivalise avec le gouvernement… Empêchez toute espèce de coalition de citoyens. » Point de clubs, avec leurs affiliations lointaines, républiques dans la République. D’ailleurs, en rompant avec le passé, les citoyens ne rompront point l’unité de l’État et n’effaceront point les souvenirs de l’antique puissance de la patrie. Il fait relever la statue d’André Doria renversée par une émeute : « André Doria fut grand marin et grand homme d’État ; l’aristocratie était la liberté de son temps. » — « Il faut avant tout, dit-il aux Milanais, resserrer les liens de fraternité entre les différentes classes de l’État. Réprimez surtout le petit nombre d’hommes