Dès qu’il a déclaré la guerre à Venise, il écrit au général Gentili de s’emparer des îles : « Vous aurez soin… de faire l’impossible pour nous captiver les peuples, ayant besoin de vous maintenir le maître, afin que, quel que soit le parti que vous preniez pour ces îles, nous soyons en mesure de l’exécuter. Si les habitans étaient portés à l’indépendance, vous flatteriez leur goût, et vous ne manqueriez pas, dans les différentes proclamations que vous ferez, de parler de la Grèce, d’Athènes et de Sparte. » Il adjoint à Gentili, pour l’aider à captiver les peuples, cinq ou six officiers du département de Corse qui « sont accoutumés au manège des insulaires et à la langue du pays » ; et pour remuer les cendres de Sparte et d’Athènes, « le citoyen Arnault, homme de lettres distingué, qui observera ces îles et aidera Gentili dans la confection des manifestes. » Bonaparte s’y applique lui-même. Il écrit au chef des Maniotes, « dignes descendans de Sparte », « petit, mais brave peuple, qui, seul de l’ancienne Grèce, a su conserver sa liberté. » Il leur parle en style classique : c’est son parler naturel, celui de son île natale. Les îles sont occupées. Le 28 juin, à Corfou, le chef de la religion se présente à Gentili, un livre à la main : « Français, dit-il, vous allez trouver dans cette île un peuple ignorant dans les sciences et les arts ; mais… il peut devenir encore ce qu’il a été : apprenez en lisant ce livre à l’estimer. » Gentili ouvre ; le livre : c’est l’Odyssée. « L’île de Corcyre, écrit Bonaparte au Directoire, était, selon Homère, la patrie de la princesse Nausicaa. » Voilà un beau titre à occuper cette île et plusieurs autres, du même groupe : « Le citoyen Arnault, qui jouit d’une réputation méritée dans les belles-lettres, me mande qu’il va s’embarquer pour faire planter le drapeau tricolore sur les débris du palais d’Ulysse. » Bonaparte demande partout des renseignemens sur l’Egypte. Il pense que 25 000 hommes suffiraient à l’expédition. Ils respecteraient toutes les croyances : « Avec des années comme les nôtres, pour qui toutes les religions sont égales, Mahométans, Cophtes, Arabes, tout cela nous est fort indifférent. » Tout, excepté les Anglais. « Camarades, écrit-il aux marins de l’escadre de Brueys, dès que nous aurons pacifié le continent, nous nous unirons à vous pour conquérir la liberté des mers. » Il est si fasciné de sa propre pensée, qu’il en vient à déclarer : « Les îles de Corfou, de Zante et de Céphalonie sont plus intéressantes pour nous que toute l’Italie ensemble[1] ! »
Quand il dit qu’il préférerait les îles à toute l’Italie ensemble, ce n’est qu’une boutade ; il pense là-dessus, comme pensera le Directoire : il préfère les îles et l’Italie, — ensemble. Et comme il
- ↑ A Gentili, 26 mai ; au chef des Maniotes, 30 juillet ; au Directoire, 1er août, 10 août, 13, 16 septembre 1797.