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rompra la coalition. Il estime facile de les amener à composition. Il y a un terrain où il les rencontre et où ils ont le même intérêt que lui à s’arrêter : la république de Venise ; Thugut veut la prendre et Bonaparte veut la donner. Présent funeste, pense Bonaparte, que l’Autriche paiera, en Europe, de sa vieille réputation de loyauté, et qui se détachera de soi-même le jour où la France sera en mesure de le recueillir. Dépossédant, pour le prix de sa défection à la cause de l’Europe, un État aristocratique ; trempant dans un partage avec les révolutionnaires, après avoir trempé dans deux partages avec les souverains ; l’Autriche, déjà trop suspecte aux États faibles, leur deviendra odieuse. Elle aura déchiré de ses mains la charte européenne qui est la raison d’être de sa suprématie en Allemagne. Quelle leçon pour la Saxe, pour la Bavière surtout, si même la Bavière ne se trouve pas ébréchée ! Il serait de l’intérêt de la République qu’elle le fût. Il convient que complice en Italie, l’Autriche devienne associée en Allemagne ; qu’après avoir dépouillé une alliée, elle livre ses co-Etats. Ses troupes évacueront Mayence et donneront la clef de l’Allemagne aux Français : pour cette ville, qui est à la République ce que Strasbourg était à Louis XIV, pour le consentement de l’empereur à la réunion à la France de toute la rive gauche du Rhin, Bonaparte ajouterait Salzbourg et Passau à Venise. Mais en fera-t-il un ultimatum ? S’il tient à Mayence, il n’a pas sur l’article de la rive gauche du Rhin les vues absolues et obstinées du Comité et du Directoire. Il pense que celui qui tiendra Mayence arrivera nécessairement à Cologne. Le temps fera l’affaire mieux que tous les traités. La France a intérêt à attendre.

Bonaparte ne partage ni l’engouement des politiques de Paris pour la grandeur de la Prusse, ni la manie déplorable qui pousse Sieyès et ses disciples à réformer la Constitution germanique. Les traités de Bâle et de Berlin stipulent en faveur du roi de Prusse d’amples indemnités destinées à payer son consentement à la réunion de la rive gauche du Rhin à la France. Il faudra donner des indemnités du même genre aux autres princes laïques possessionnés sur la rive gauche. « Culbuter le corps germanique, écrit-il le 27 mai, c’est perdre l’avantage de la Belgique, de la limite du Rhin ; c’est mettre 10 à 12 millions d’habitans dans la main de deux puissances de qui nous nous méfions également. Si le corps germanique n’existait pas, il faudrait le créer tout exprès pour nos convenances. » La France n’occupera point toute l’étendue de la Gaule, mais la Prusse demeurera secondaire et précaire, et la France sera plus assurée dans sa suprématie qu’elle ne le serait par toute la ligne du Rhin en présence