Sentimens vrais ;… un cœur reconnaissant et bienveillant, je pourrais même dire sensible. » Il court à cheval, il se plaît aux exercices violens, il dort beaucoup, il fournit un travail prodigieux, et quand il s’y livre, il devient inabordable.
C’est ainsi qu’il apparut aux contemporains, et c’est ainsi qu’à cette époque de sa vie, l’histoire doit le représenter, si elle ne veut rendre invraisemblable l’éblouissement qu’il jeta sur le monde. L’Italie fut la première à en ressentir l’effet. Les envoyés des souverains, les députés des villes se succèdent, avec des harangues emphatiques pour le général, des présens somptueux pour Joséphine. Les poètes y joignent leurs bouquets de métaphores et leurs couronnes de papier doré. L’improvisateur Gianni célèbre en trois chants le héros de l’Italie, et se déclare son poète césarien. Le vieux Cesarotti, lui, apporte sa traduction d’Ossian, et Bonaparte peut lire, en sa langue maternelle, son poète préféré. Monti, le sombre Monti de Corinne, l’auteur de cette diatribe fameuse contre la Révolution française, la Bassvilliana, passe de la malédiction au dithyrambe depuis que la Révolution s’est faite italienne. Il glorifie Bonaparte dans les premiers chants de son Prométhée : le héros y est dépeint comme le protagoniste de l’humanité contre le despotisme de Jupiter et la conjuration des aristocrates du vieil Olympe : « Par vous, la nature revivifiée renaît, et par vous aussi nous renaissons, nous autres Italiens purs, opprimés, mais non pas avilis. » Ugo Foscolo, plus hostile encore que Monti à la Révolution française, entre à son tour dans le chœur. Mascheroni envoie au général sa géométrie avec une dédicace en vers : « Je me souviens, quand tu franchis les Alpes, nouvel Annibal, pour délivrer ta chère Italie… » Le Génois Serra ne s’exprime qu’en prose, mais cette prose ne laisse rien à envier aux versificateurs : il a mis sa signature à côté de celle du général sur une convention, et il s’écrie : « Le nom de Bonaparte uni au mien dans un document d’où dépend la destinée de ma patrie ! Cette idée si grande, si inattendue de ma part, s’empare de toute mon âme et agrandit la sphère de mes facultés… Epaminondas, Miltiade, Xénophon, ont combattu pour de petites républiques, et leurs noms marchent de pair avec les héros de l’empire romain ; vainqueur des Piémontais et des Impériaux, pacificateur de l’Europe, ces titres vous sont assurés, et vous égalent à ce que l’antiquité a de plus grand ou même vous mettent au-dessus. » Tout l’encens des « philosophes » n’avait pas distillé, dans le siècle qui finissait, un parfum plus subtil et plus enivrant, dans les temples consacrés aux fameuses idoles du Nord : Frédéric et Catherine. Quoi de plus naturel qu’en ces temps d’illusion universelle tout ce qui aimait la liberté acclamât ce jeune homme