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discours que l’on écoute si patiemment, depuis quelques semaines, au Palais-Bourbon, ne seraient pas tolérés au mois d’août. On y perdrait quelquefois, mais combien n’y gagnerait-on pas dans l’ensemble !

La discussion du budget des colonies et du budget de la guerre n’a pas été sans intérêt. Ou y a agité un très grand nombre de questions ; on n’en a pas résolu beaucoup ; pourtant, sur quelques-unes le gouvernement a donné des indications et a pris des engagemens qu’il est bon de retenir. Le budget des colonies a permis d’apporter à la tribune quantité d’anecdotes qui ont tantôt amusé, tantôt indigné la Chambre. Que reste-t-il de tout cela ? Assez peu de chose. On n’a même pas très bien compris, faut-il l’avouer ? les motifs pour lesquels M. de Lanessan, gouverneur général de l’Indo-Chine, a été brusquement révoqué. Une révocation de ce genre, dans les conditions qui l’ont accompagnée, est une mesure d’autant plus grave qu’elle n’est pas sans péril : aussi s’attendait-on à des révélations extraordinaires, et celles qui ont été données n’ont pas tout à fait rempli cette ; attente. Mais à quoi bon insister sur un fait accompli ? C’est du côté de l’avenir qu’il fallait regarder. Là se dressaient deux questions principales qui sollicitent depuis longtemps l’attention des pouvoirs publics, et qui très probablement la solliciteront longtemps encore. Nous avons singulièrement développé notre empire d’outre-mer depuis quelques années : qu’avons-nous fait pour le mettre en valeur, l’organiser, en assurer la défense normale ? Presque rien. Nous continuons de vivre sur les traditions du passé, qui sont mauvaises ou médiocres, et nous attendons passivement que, comme il arrive, dit-on, dans la nature, le besoin crée l’organe approprié. Il ne l’a pas créé jusqu’ici, et le gouvernement ne semble pas avoir des idées très nettes sur la manière dont il doit s’y prendre lui-même pour aider à cette évolution. Lus deux questions qui ont préoccupé la Chambre sont celles des grandes compagnies et de l’armée coloniale. La seconde semble avoir l’ait un pas en avant ; mais si la première en a fait un, c’est plutôt en arrière.

La Chambre a beaucoup de peine à se dégager, pour juger les questions coloniales, de ses habitudes d’esprit ordinaires. Un orateur lui a parlé d’une concession de 300 000 hectares qui a été faite à une compagnie sur un point de l’Afrique : cela a fait scandale. Qu’est-ce pourtant que 300 000 hectares dans l’immensité de l’Afrique ? Les Anglais ont toujours procédé, soit en Afrique, soit en Asie, soit ailleurs, par la constitution des grandes compagnies à charte, auxquelles ils octroient des concessions limitées dans la durée, mais renouvelables, et très étendues au point de vue des droits qu’elles comportent. C’est par ce moyen qu’ils sont arrivés aux résultats que nous leur envions. Ne vaudrait-il pas mieux les imiter ? Un savant jurisconsulte, M. Leveillé, a exprimé à la tribune les réserves les plus formelles à ce sujet. Imprégné du vieux droit français, il n’admet pas que l’État délègue